Auteur : Pierre Allain

Cytosquelette

On désigne sous le terme de cytosquelette l’ensemble des filaments protéiques qui s’entrecroisent dans les cellules et qui sont de trois types : les filaments d’actine ou microfilaments (les plus petits), les microtubules (les plus grands) et les filaments intermédiaires.

  • Les filaments d’actine sont présents dans les cellules musculaires mais aussi dans la plupart des autres cellules. Sous la forme filamenteuse polymérique, l’actine est appelée F-actine et sous la forme monomérique globuleuse, G-actine. Il y a équilibre dynamique entre ces deux formes. Les filaments d’actine donnent sa forme à la cellule. La phalloïdine, toxine présente dans un champignon, a une grande affinité pour la F-actine.
  • Les microtubules sont des cylindres creux de 24 nm de diamètre externe et de 14 nm de diamètre interne, formés d’une a-tubuline et d’une b-tubuline, associées en forme de dimère. Chaque dimère fixe et relargue des molécules de GTP. Ils sont présents au niveau des cils, des flagelles et du cytoplasme de l’ensemble des cellules. Ce sont des structures en équilibre dynamique, c’est-à-dire se faisant et se défaisant en permanence. Aux microtubules sont associées des protéines appelées MAP (microtubule-associated proteins) comme la kinésine, les dynéines, qui interviennent dans le déplacement des organites intracellulaires dans le cytoplasme. Le centrosome formé de deux centrioles a la capacité d’initier la polymérisation des microtubules.
  • Les filaments intermédiaires forment la trame intracellulaire et sont plus stables que les deux autres protéines filamenteuses. On en distingue plusieurs variétés : la kératine, présente dans les cellules épithéliales, la desmine qui, présente dans les muscles lisses, leur donne leur résistance, et présente dans le muscle strié, squelettique et cardiaque, assure le lien entre les unités contractiles ou sarcomères, la vimentine, présente dans les cellules à croissance rapide, et les neurofilaments, présents dans les neurones.

Le cytosquelette constitué de cet ensemble de protéines filamenteuses assure :

  1. le modelage de la forme de la cellule et sa mobilité. La mobilité de la cellule est obtenue par modification de sa forme, par formation de pseudopodes et par le mouvements des cils et des flagelles.
  2. les mouvements intracellulaires d’organites :
    • trafic intracellulaire : des organites intracellulaires mus par des protéines contractiles se déplacent en permanence le long des microtubules
    • migration des chromosomes : le fuseau mitotique constitué de microtubules formés à partir des centrosomes assure, grâce à des molécules motrices, le transfert des chromosomes dupliqués aux extrémités de la cellule qui se divise.

Les médicaments modifiant les fonctions de la tubuline et des microtubules, en fonction de leurs caractéristiques pharmacocinétiques, absorption digestive ou non, et de leur affinité tissulaire, sont utilisés comme antinéoplasiques, antihelminthique et antigoutteux.

Antinéoplasiques

On peut distinguer deux types d’antinéoplasiques agissant sur le cytosquelette : ceux qui inhibent la polymérisation de la tubuline en microtubules, comme les alcaloïdes de la pervenche (vinblastine), et ceux qui empêchent la dépolymérisation des microtubules, comme les taxoïdes.

Par ces mécanismes, ils inhibent la division cellulaire. Ce sont de véritables antimitotiques.

Dérivés de la pervenche

La vincristine, la vinblastine, la vindésine et la vinorelbine sont des alcaloïdes de la pervenche qui se fixent spécifiquement sur la tubuline et inhibent sa polymérisation en microtubules. De plus, in vitro, la vinblastine dissout les microtubules. Ils empêchent ainsi la formation du fuseau permettant la migration des chromosomes et bloquent la division cellulaire à l’état de métaphase. En absence de fuseau, les chromosomes se dispersent au hasard à travers le cytoplasme.

Les indications des dérivés de la pervenche sont assez similaires : ce sont les leucémies, les lymphomes, la maladie de Hodgkin et certaines tumeurs solides.

Les indications de la vinorelbine sont limitées pour le moment au traitement du cancer bronchique non à petites cellules et à celui du cancer du sein métastatique.

Leurs effets indésirables sont principalement hématologiques (avec granulopénie qui est à son maximum environ une semaine après le début du traitement) et neurologiques (névrite, polynévrite, iléus paralytique). Ils provoquent également une alopécie.

Vinblastine

VELBÉ* Inj

Vincristine

ONCONVIN*
VINCRISTINE*

Vindésine

ELDISINE*

Vinorelbine

NAVELBINE*

Taxoïdes ou taxanes

Les taxoïdes ont une structure chimique proche de celle des molécules extraites de l’écorce d’if, Taxus brevifolia et Taxus baccata, cette dernière étant la plus communément rencontrée en Europe. Actuellement, on essaie d’obtenir, par hémisynthèse à partir de produits naturels ou par synthèse, des dérivés ayant une action plus spécifique tout en étant moins toxiques que les molécules naturelles. Les deux principaux taxanes sont la paclitaxel et le docétaxel.

Les taxoïdes se fixent sur les tubules et empêchent leur dépolymérisation. De plus, ils favorisent la transformation de la tubuline en microtubules. La persistance des microtubules du fuseau traversant la cellule de part en part l’empêche de se diviser.

Ils agissent sur les cellules à division rapide au niveau de la moelle, du tube digestif et des gonades.

Le paclitaxel est indiqué dans le traitement du cancer de l’ovaire à un stade avancé ou métastatique et le docétaxel dans celui du cancer du sein avancé ou métastatique.

Les principaux effets indésirables, dose-dépendants, des taxoïdes sont la myélosuppression, en particulier la neutropénie, les neuropathies, l’alopécie.

Ils provoquent des réactions d’hypersensibilité, réactions allergiques pouvant aller jusqu’au choc anaphylactique.

Paclitaxel

TAXOL* Inj

Docétaxel

TAXOTERE* « 

Leur utilisation est contre-indiquée chez la femme enceinte ou allaitante.

Ixabépilone

L’ixabépilone est un stabilisant des microtubules comme les taxanes, paclitaxel et docétaxel.

Chimiquement l’ixabépilone appartient au groupe des épothilones, macrocycles à 16 liaisons.

Les indications de l’ixabépilone (IXEMPRA*, USA) sont le cancer du sein métastatique ou localement avancé, résistant aux autres traitements comportant par exemple une anthracycline ou un taxane.

Arsenic

Le trioxyde d’arsenic, AS2O3, agit, au moins partiellement, en inhibant la transformation de la tubuline en microtubules (Voir « Arsenic ».).

Antiparasitaires

Antifongiques

La griséofulvine empêche la formation du fuseau mitotique, ce qui donne des cellules multinucléées. Globalement, son action ressemble à celle des alcaloïdes de la pervenche et à celle de la colchicine, bien que leurs mécanismes d’action moléculaires soient différents.

La griséofulvine a une activité fongistatique sur les dermatophytes, champignons qui se développent au niveau des tissus « morts » de la peau et de ses annexes (couche cornée, cheveux, ongles), Microsporum, Epidermophyton, Trichophyton, et peut être fongicide sur les formes jeunes. Elle n’a pas d’effet sur les Candida ni sur les autres levures.

L’absorption digestive de la griséofulvine est augmentée lorsqu’elle est prise en même temps que des lipides. Sa demi-vie dans le plasma est d’environ un jour. Mais elle se fixe à la kératine et y persiste pendant longtemps, ce qui explique son action au niveau de la peau et des phanères. Elle atteint des concentrations élevées dans les dermatophytes qui la captent activement.

Elle a un effet inducteur enzymatique et, par exemple, peut diminuer l’activité des estroprogestatifs.

La griséofulvine est indiquée dans le traitement des dermatophyties cutanées unguéales et capillaires. La durée du traitement dépend des localisations, c’est-à-dire du temps nécessaire pour éliminer la kératine infectée, et va de quelques semaines à un an.

Parmi les effets indésirables de la griséofulvine, on peut signaler des leucopénies, des céphalées et des troubles neurosensoriels. Elle peut aussi entraîner un effet de type antabuse en cas de prise d’alcool.

Griséofulvine

GRISÉFULINE* Cp 250 et 500 mg

Antihelminthiques benzimidazolés

Les antihelminthiques benzimidazolés inhibent chez certains parasites du tube digestif la polymérisation de la tubuline en microtubules. Cette inhibition réduit chez le parasite la libération de médiateurs au niveau neuromusculaire et l’absorption de glucose, ce qui entraîne son immobilisation et son élimination passive dans les selles.

Les antihelminthiques benzimidazolés sont utilisés dans le traitement des nématodoses intestinales ou tissulaires, Ascaris lumbricoïdes, Ancylostoma duodenale, Necator americanus, Strongyloïdes stercoralis, Trichuris trichiura, Enterobius vermicularis (oxyures), et dans certaines cestodoses.

Les antihelminthiques benzimidazolés sont le thiabendazole, l’albendazole, le flubendazole, et le mébendazole.

  • Thiabendazole
    Le thiabendazole, outre son activité antitubuline, inhibe la fumarate réductase mitochondriale des parasites. Il est efficace contre la plupart des nématodes, y compris contre leurs larves et leurs ufs, présents dans le tube digestif des animaux domestiques. Il est largement utilisé en médecine vétérinaire. En médecine humaine, le thiabendazole, qui est absorbé par le tube digestif, est utilisé dans le traitement des nématodoses graves à localisation tissulaire, telles que la trichinose (Trichinella spiralis), la strongyloïdose ou anguillulose, la toxocarose appelée Larva migrans viscerale, provoquée par l’invasion des viscères de l’homme par des larves de nématodes d’origine canine ou catine.

    L’utilisation du thiabendazole est limitée en raison de sa toxicité, consécutive à son absorption digestive. Il entraîne fréquemment des troubles neurosensoriels, bourdonnements d’oreille, hallucinations, et des troubles cutanés. Il donne une odeur particulière aux urines qui rappelle celle de l’urine après ingestion d’asparagus.
    Le thiabendazoleest commercialisé dans certains pays sous le nom de MINTÉZOL*.
  • Albendazole
    Outre son efficacité contre les nématodes : oxyures, ascaris, ankylostomes (Ancylostoma duodenale et Necator americanus), dolichocéphales (Trichuris trichiura), l’albendazole est actif sur certaines cestodoses comme les taeniasis (Taenia saginata, solium). Il est également utilisé dans les échinococcoses (kyste hydatique)

    En raison de sa faible absorption digestive, il est généralement bien toléré, mais il a pu donner cependant quelques troubles sanguins à type de neutropénie.

    Albendazole

    ZENTEL* Cp, Sol buv
    ESKAZOLE* Cp

  • Flubendazole
    Actif contre les nématodes digestifs, le flubendazole est bien toléré en raison de sa faible absorption digestive.

    Flubendazole

    FLUVERMAL* Cp, Sol buv

  • Mébendazole :
    Le mébendazole dont les indications sont proches de celles de l’albendazole. Il est commercialisé en France sous le nom de VERMOX*.

Colchicine

La colchicine est un alcaloïde extrait de Colchicum autumnale.

Chaque molécule de colchicine se fixe à une molécule de tubuline et empêche sa polymérisation en microtubules. L’absence ou l’insuffisance de microtubules a plusieurs conséquences :

  • Blocage de la division cellulaire au stade métaphase, ce qui explique son activité antitumorale
  • Inhibition de la motilité de certaines cellules dont les granulocytes qui normalement convergent vers les cristaux d’acide urique et participent à la réaction inflammatoire
  • Inhibition de la migration intracellulaire de certains constituants et inhibition de la libération de granules d’histamine par les mastocytes.

La colchicine est efficace dans le traitement de la goutte parce qu’elle inhibe la motilité des leucocytes, ce qui les empêche d’affluer autour des cristaux d’acide urique. Elle n’a pas de propriétés anti-inflammatoires comme les glucocorticoïdes et les anti-inflammatoires non stéroïdiens et ne modifie pas l’élimination de l’acide urique.

Sur le plan pharmacocinétique, la colchicine est bien absorbée par le tube digestif. Elle se distribue inégalement dans les tissus : les concentrations sont élevées dans le rein, le foie, la rate et les leucocytes, ce qui explique son effet anti-goutteux, et beaucoup plus faibles dans le coeur, les muscles squelettiques, le cerveau et les poumons.

La colchicine est métabolisée en plusieurs produits. Son élimination est rénale et surtout biliaire. Elle subit un cycle entéro-hépatique, ce qui explique en partie sa toxicité digestive.

Les indications classiques de la colchicine sont la goutte, soit en traitement curatif de la crise aiguë, soit en traitement préventif au long cours ou en début de traitement par l’allopurinol.

Elle est aussi proposée dans le traitement de certaines maladies particulières, telles que la maladie périodique ou fièvre méditerranéenne familiale, la maladie de Behcet, l’amylose, ou plus communes, telles que la cirrhose alcoolique, la sclérose en plaque et le psoriasis. Elle a été utilisée comme antinéoplasique.

Colchicine

COLCHICINE* Cp 1 mg

La colchicine, utilisée à posologie normale, dans le traitement curatif ou préventif de la goutte, est généralement bien tolérée, mais lors d’intoxications volontaires ou accidentelles, par exemple prise de plusieurs milligrammes, elle entraîne des manifestations toxiques extrêmement graves :

  • Troubles digestifs qui peuvent apparaître très rapide-ment après son ingestion et persister plusieurs jours
  • Insuffisance circulatoire avec état de choc
  • Atteinte hématologique qui apparaît ultérieurement, avec disparition des granulocytes et parfois des plaquettes
  • Alopécie transitoire fréquemment observée lorsque le malade a récupéré.

Il n’y a pas d’antidote de la colchicine commercialisé mais un anticorps anticolchicine a donné de bons résultats au cours des intoxications.

Podophyllotoxine

La podophyllotoxine est un composant d’une plante appelée Podophyllum dont il existe plusieurs variétés. L’extrait de podophyllum qui contenait un grand nombre de substances dont la podophyllotoxine est maintenant remplacé par la podophyllotoxine commercialisée sous formes de préparations à usage local. La podophyllotoxine n’est pas un antiviral mais un antimitotique qui se fixe à la tubuline et provoque une nécrose tissulaire conduisant à l’élimination mécanique de la verrue sur laquelle elle a été appliquée. Elle est utilisée en application locale dans le traitement des condylomes qui sont des verrues anogénitales d’origine virale (papillomavirus).

Podophyllotoxine

CONDYLINE* Application locale

En dehors des réactions locales douloureuses, et démateuses la podophyllotoxine a peu d’effets indésirables

Le cytosquelette comporte d’autres cibles pour les médicaments que la tubuline et les microtubules, notamment les kinésines. Ainsi l’inhibition de la kinésine Eg5 par un produit appelé monastrol empêche la migration des asters aux pôles opposés de la cellule, il n’y a qu’un seul aster et la mitose est bloquée sans perturbation des autres fonctions cellulaires.