Médecin traitant, réflexions

L’équivalent du médecin traitant tel qu’on l’entend en France actuellement existe depuis de nombreuses années dans certains pays, comporte des avantages et on comprend qu’on puisse être tenté de l’appliquer. Cependant on peut se demander quels avantages, notamment en matière de réduction de dépenses, peut apporter son introduction dans le système français de conception différente.

En France, le malade avait toute liberté de consulter le médecin de son choix, généraliste ou spécialiste, du secteur public ou privé. Cette liberté était bien sûr limitée par les contingences locales et canalisée par des circuits créés par l’usage. D’une manière générale c’était le médecin généraliste qui orientait le malade vers les spécialistes. Mais les gens avaient pris l’habitude de consulter directement certains spécialistes comme les ophtalmologistes, essentiellement d’ailleurs pour la prescription de lunettes. Cette tendance à l’accès direct touchait d’autres spécialités comme la dermatologie, la cardiologie…

Ce système de soins n’empêchait pas les abus : certains malades pouvaient multiplier les consultations auprès des médecins spécialistes et généralistes. L’Assurance Maladie, du fait des remboursements, avait la possibilité de suspecter ces abus, de les confirmer ou de les infirmer par ses médecins, et de les limiter en refusant des remboursements. Ce contrôle a sans doute été insuffisant pour les réduire notablement mais aurait pu être simplement renforcé d’une façon raisonnable, sans en faire une force de répression.

La décision d’imposer le médecin traitant comme régulateur des soins et des dépenses qui s’en suivent est prise. Elle officialise le rôle du médecin généraliste comme «centralisateur» des informations médicales de chaque malade, ce qu’il était normalement déjà, et vise à freiner les dépenses de santé, ce qui n’est pas gagné.

Le médecin traitant, a priori un généraliste, auparavant soignant et conseiller, reste soignant mais devient le contrôleur qui délivre les laissez-passer à l’entrée du «parcours de soins». Il sera en partie (car l’accès direct à certains spécialistes : gynécologie, pédiatrie jusqu’à 16 ans, psychiatrie, ophtalmologie et à tous les spécialistes hospitaliers, reste libre) responsable des dépenses médicales des malades qui se sont rattachés à lui. S’il est laxiste dans l’attribution des laissez-passer, il ne réduira pas les dépenses, s’il apparaît trop restrictif, sa responsabilité médicale pourra parfois être mise en cause et les malades seront tentés de se tourner vers d’autres praticiens plus compréhensifs. C’est une bien lourde tache d’autant que le rôle du médecin traitant d’aujourd’hui n’est pas assimilable à celui du médecin de famille d’autrefois qui était en principe disponible le jour, la nuit, jours ouvrables et fériés : il n’assure pas les urgences, les appels de nuit et il y aura un grand nombre de circonstances où il ne sera pas accessible. Au total, le rôle du médecin généraliste est valorisé, il est la clef du système mais l’officialisation autoritaire de ce qu’il faisait déjà naturellement modifiera sans doute son rôle et son image, pas nécessairement en sa faveur. L’officialisation de l’accès libre à la pédiatrie par exemple ne va-t-elle pas conduire à considérer le pédiatre comme le médecin généraliste des enfants ?

Le médecin spécialiste privé? Le spécialiste dont l’accès dépend du généraliste va peut-être perdre transitoirement quelques clients «sans laissez-passer» mais se rattraper par un dépassement d’honoraires chez les «contrevenants» et avoir ainsi deux types de clientèle. Quelles seront les conséquences de cette double tarification sur le comportement de ces spécialistes vis-à-vis de leurs clients et inversement ? Les médecins spécialistes à accès libre auront-ils droit à des dépassements d’honoraires ?

Le malade ? Le malade ne trouve guère d’avantage dans cette réforme, plutôt des contraintes. Les malades souffrant d’une maladie chronique et les personnes âgées en général, engagés dans des circuits de soins, ne devraient pas, pour la plupart, voir de grands changements avec la nouvelle réforme. Mais les adultes jeunes, généralement bien portants et ne consultant que rarement, changeant souvent de lieu de résidence, auront quelque difficulté à choisir un médecin traitant… cependant, comme on peut en changer quand on veut, pourquoi ne pas déclarer le médecin que l’on voit (avec son accord) comme médecin traitant, et le remplacer par un nouveau quand les circonstances le demandent… Par ailleurs il ne faut pas oublier que le malade s’intéresse aux problèmes de santé, a acquis des connaissances, a une perception de son propre état de santé qui n’est pas toujours fausse et son idée d’aller voir directement, une fois ou l’autre, un spécialiste n’est pas nécessairement condamnable. Imaginons qu’un adulte normal bien portant s’aperçoive qu’il a sur la peau quelque chose d’inhabituel qui ne guérit pas, et s’inquiète; on comprend qu’il puisse préférer aller voir directement un dermatologue plutôt qu’un généraliste, pour ce problème précis évidemment.

L’Assurance Maladie? La diminution des dépenses résultant du moindre remboursement des consultations «directes» de certains spécialistes sera-t-elle suffisante pour compenser le prix de la gestion de la réforme et de la consultation préalable du généraliste ? Ou bien mise-t-elle sur le fait que beaucoup de personnes vont aller voir directement un spécialiste quitte à payer un dépassement et à avoir un moindre remboursement ? De toutes façons, on ne peut pas penser que le travail de l’Assurance Maladie sera simplifié, elle aura des dossiers plus compliqués à gérer, des tarifs de remboursement différents suivant les parcours de soins et en raison de la complexité de la réforme, elle aura à faire face à une multitude de situations ambiguës (notion d’urgence par exemple), sources de contestations. Même si l’informatique sait gérer la complexité, il est rarement bon de compliquer les choses inutilement.

La démarche utilisée pour établir la réforme est classique : partir d’une idée simple et à première vue de bon sens, en l’occurrence confier au médecin généraliste le contrôle des soins, prendre une décision autoritaire ferme et claire, le médecin traitant, s’apercevoir qu’elle est difficilement applicable dans le contexte français et mettre en place tous les dispositifs nécessaires pour la contourner et aboutir ainsi à un ensemble contradictoire et confus que l’on impose quand même pour que les producteurs de réformes n’aient pas à se déjuger.

L’Assurance Maladie, nécessairement au courant de tous les actes médicaux faisant l’objet d’une demande de remboursement, avait et a en principe les moyens d’éviter les abus flagrants ou répétés de consommation médicale. De plus, la carte de santé informatisée devait prochainement permettre de connaître le profil de consommation médicale de chacun. Enfin et surtout, on pouvait essayer de faire comprendre aux gens qu’il est dans leur intérêt, dans la majorité des cas, de consulter un médecin généraliste, que le fait de voir beaucoup de médecins d’une façon incoordonnée, de prendre beaucoup de médicaments, sauf cas particuliers, comporte souvent autant de risques que d’avantages, immédiats ou tardifs. Le fait que les français semblent avoir compris que quand il fait très chaud (ça s’appelle la canicule) ils doivent chercher par eux-mêmes un peu de fraîcheur, même s’ils ne savent pas si on en est au plan bleu, vert ou gris, est encourageant.

Ces quelques réflexions ne concernent que le choix du médecin et pas celui de la régulation des dépenses de santé en général, loin d’être résolu…

3 commentaires on “Médecin traitant, réflexions

  1. Bonnes questions dans cet article. Je pense cependant que l’on devrait plus signaler ce fait, par rapport à d’autres pays, que l’on parle en France du « médecin généraliste », et que la notion du médecin de médecine interne est bien moins répandue. Or celui-ci joue un grand rôle, sorte de médecin spécialiste (ayant des connaissances plus poussées, en gros) de médecine générale, dans la vie médicale courante dans des pays comme l’Allemagne, la Suisse etc.
    Bon nombre d’interrogations qui se posent sur les réelles compétences du généraliste choisi ne se poseraient pas avec les « internistes » (j’ai longuement vécu dans ces pays). Les médecins de médecine interne ont bien plus de ce que j’appellerais des « connaissances de coordination », c’est-à-dire la faculté non seulement d’interpréter certains résultats pour voir ou non s’il faut un spécialiste, mais de les relier entre eux. Or relier entre elles différentes disciplines médicales est, cela est reconnu également à l’étranger, un vrai point faible de la médecine française, les spécialistes ayant un TRES forte tendance, dans l’ensemble, à se borner à leur domaine, et de grosses réticences, soit à travailler avec des médecins d’autres disciplines, soit à accepter que ce qu’ils trouvent peut être étroitement lié à d’autres domaines. C’est un exemple: rhumatologie et hématologie, parmi tant et tant d’autres.
    Je suis désolée de le dire, mais s’il y a des généralistes merveilleux, il en existe qui font de grossières erreurs dans des domaines parfois complexes, mais pas toujours, ou bien ont, n’étant pas préparé à leur nouveau rôle, des connaissances prises pour des « acquis » qui ne sont pas suffisantes… dès que l’on sort de ce que j’appellerais les « maladies classiques » pour lesquelles on va consulter.
    Or certains généralistes le savent bien eux-mêmes D’où parfois des réactions soit un peu « paniquées » (je viens d’en avoir un exemple), soit au contraire, avec cette nouvelle « autorité » conférée, une assurance vis-à-vis des patients qui est parfois tout à fait dangereuse. Une peur nouvelle de prescrire certains examens qui seraient très évidemment nécessaires si l’on connaît un petit peu certains aspects médicaux, bref, nombre de contradictions que je n’ai jamais trouvées chez les « internistes » à l’étranger.
    Un « détail » qui n’en est pas vraiment un: l’article donne au début comme exemple les personnes qui avaient l’habitude d’aller chez l’ophtalmo pour les lunettes. Or hier, une généraliste remplaçante me fait une lettre dans ce sens, en me disant que sinon, maintenant, je n’avais « pas le droit d’aller le voir ». Alors d’une part, cette expression « avoir le droit » n’est pas appropriée: si, bien sûr, on a le « droit », le point porte sur le remboursement, les honoraires etc. Mais par ailleurs, l’ophtalmologie, justement fait partie des spécialités (avec gynécologues et psychiatres) que le patient peut aller voir sans « permission » (sourire) du médecin traitant. Et il serait bien utile de rappeler ces spécialités! Cela paraît du reste du bon sens: on ne voit pas trop comment un généraliste pourrait faire un fond de l’oeil ou prescrire des lunettes adaptées… Devoir lui demander coûterait, du coup, vraiment en plus une consultation totalement inutile à l’assurance maladie, lorsqu’on ne voit plus bien et qu’il faut donc évidemment aller consulter aussi l’ophtalmologiste!
    Enfin, il y aura de toutes façons des avantages ou inconvénients pour médecins et patients, au cas par cas. Car l’on parle beaucoup des médecins mais peu des patients dans leurs besoins vraiment concrets – ma réaction étant peut-être influencée par le fait d’une maladie qui nécessite l’apport de diverses disciplines, les choses étant liées, et le généraliste est de plus en plus « perdu » là-dedans.
    Qui peut donc affirmer avoir raison?
    Mais au moins, sur les spécialistes à autoriser ou non, que les généralistes connaissent bien la nouvelle loi éviterait du temps perdu, eux qui en manque… Merci, et pardon pour la longueur du message.

    annakka

  2. P.S Oublié de réagir à une chose intéressante faite sur le site: les « quiz », et… les résultats, qui disent tout de même quelque chose, allant dans le sens de certains manques possibles dans les connaissances chez certains médecins… 36% de « OK »? Il serait intéressant de bien tout préciser sur l’échantillon etc. Mais ce pourcentage ne pose-t-il pas des questions?
    Quelles sont les réactions des médecins, généralistes d’une part, spécialistes d’autre part. Des « croisements » statistiques ont-ils été fait entre l’éventuelle spécialisation des personnes ayant répondu et le « taux de réussite », si on peut l’appeller ainsi? Y a-t-il eu totale liberté de choisir son « quiz »? Peut-être que je n’ai pas encore assez lu les détails…
    Mais pour la grande question: la confiance des patient(e)s sur le médecin choisi, quel est l’impact de ce type de résultat? Y a-t-il eu des réactions? Merci

    • Pour les Quizz et les pourcentages de bonnes réponses, voila comment ça marche:

      Tout le monde peut répondre aux quizz, autant de fois qu’il/elle le veut et sans contrôle, en particulier sans distinction de profile de la personne qui répond (professionel de santé ou non etc…).

      Les statistiques sont calculées sur l’ensemble des réponses données.

      J’espère que ces explications sont claires. Sinon, n’hésitez pas à répondre à ce message.

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