Interview de Philippe Geslin, Professeur à la Faculté                      de Médecine, Chef de service, Cardiologie, CHU Angers
                     
P. A. : On parle beaucoup aujourd’hui de stents imprégnés (par des médicaments) mais tout d’abord qu’est-ce qu’un stent?
P. Geslin : Un stent, du nom d’un dentiste                      anglais, Stent, est une endoprothèse. Un stent coronaire                      ou endoprothèse coronaire est un fin treillis métallique                      cylindrique que l’on place à l’intérieur des                      artères coronaires pour maintenir leur calibre au diamètre                      idéal.
                     Ces endoprothèses sont serties sur un ballonnet qui,                      après avoir été positionné à                      l’endroit à traiter, est gonflé, donnant ainsi                      la forme correcte à l’endoprothèse coronaire.
                     Le but du stent est de maintenir le diamètre obtenu                      par gonflement du ballonnet en empêchant le rétrécissement                      élastique qui inévitablement se produit lorsqu’on                      se contente de dilater avec un ballonnet seul. Le stent est                      donc un dispositif utilisé dans les angioplasties qui                      sont des procédés destinés à réparer                      ou à remodeler les vaisseaux.
P. A. : L’endoprothèse doit être adaptée au diamètre de l’artère où elle sera placée. De combien de types d’endoprothèses disposez-vous ?
P. Geslin : Nous disposons de tous les diamètres allant de 2 mm à plus de 5 mm et nous choisissons en fonction du diamètre de l’artère à traiter (il existe par ailleurs des dispositifs pour des artères plus grosses que des coronaires). De même, la longueur à dilater étant variable, on dispose de toute une panoplie de longueurs allant de 7 mm à plus de 30 mm. Une des raisons du succès des endoprothèses est que l’on a appris à les positionner correctement et à bien les adapter au diamètre de l’artère à dilater
P. A : Comment introduit-on le stent dans une artère coronaire? par où passe-t-il ?
P. Geslin : Pour atteindre l’artère coronaire,                      on introduit un cathéter guide (il s’agit d’un tuyau                      creux de diamètre adapté) poussé jusqu’au                      cœur à partir d’une artère périphérique,                      soit l’artère fémorale ponctionnée au                      niveau du pli inguinal, soit une artère du bras, radiale                      ou humérale.
                     Une fois que le cathéter est placé dans l’abouchement                      ou ostium de la coronaire, un guide beaucoup plus fin est                      positionné dans l’artère coronaire elle-même.                      Ce guide très fin et très souple permet ensuite                      de guider la montée du ballonnet sur lequel est sertie                      l’endoprothèse. 
                     Cette technique est appelée angioplastie transluminale                      percutanée (percutaneous transluminal angioplasty).
P. A. : Quelles sont les indications des stents? Leur mise en place est-elle une urgence ?
P. Geslin : Les indications de l’angioplastie (dans plus de 80% des cas, aujourd’hui, elle comporte la pose d’une endoprothèse) sont les rétrécissements des artères qui diminuent ou interrompent le flux sanguin. Il peut s’agir d’une urgence lorsqu’une artère coronaire s’obstrue brutalement lors d’un infarctus du myocarde. Dans ce cas, plus vite l’artère est désobstruée et mieux on évitera un infarctus grave.
P. A. : Quelles sont les principales méthodes de localisation de l’artère lésée ?
P. Geslin : Un rétrécissement au niveau                      d’une artère coronaire provoque une ischémie                      myocardique, c’est-à-dire un déséquilibre                      entre l’apport d’oxygène et les besoins en oxygène                      du myocarde. Cette ischémie peut être dépistée                      par des moyens non invasifs tels que l’épreuve d’effort,                      éventuellement couplée à une scintigraphie                      myocardique.
                     Mais la localisation précise du rétrécissement                      de l’artère (appelé aussi sténose) ne                      peut se faire que par radio des artères coronaires                      que l’on appelle coronarographie. La coronarographie consiste                      à injecter par le cathéter dans l’artère                      coronaire un produit radio-opaque pour visualiser d’une manière                      très précise l’intérieur de l’arbre artériel                      coronaire. 
P. A. : Quels sont les médicaments utilisés avant, pendant et après la mise en place du stent ?
P. Geslin : L’angioplastie, qui consiste à                      écraser la plaque d’athérome qui obstrue plus                      ou moins complètement l’artère, provoque une                      activation très importante du système de coagulation                      sanguine aboutissant à la formation d’un caillot (thrombus).
                     Au tout début de l’utilisation des endoprothèses,                      il y avait un taux très élevé d’occlusions                      artérielles par thrombose, ce qui a retardé                      la diffusion de cette méthode pendant quelques années.                      Puis on a appris à utiliser les médicaments,                      tout d’abord les anticoagulants puis surtout les antiagrégants                      plaquettaires, qui permettent maintenant d’éviter la                      formation de caillots dans la majorité des cas. 
                     Les médicaments utilisés sont des anticoagulants                      comme l’héparine utilisée pendant l’intervention                      elle-même et les antiagrégants plaquettaires,                      les plus utilisés étant l’association aspirine                      à faible dose et clopidogrel, Plavix*. Cette association                      doit être poursuivie au moins un mois, voire plus, puisqu’il                      faut plusieurs semaines après la mise en place de l’endoprothèse                      pour que se forme dans la lumière de l’artère                      sur les mailles du treillis métallique une couche d’endothélium                      incorporant ainsi l’endoprothèse dans l’artère                      coronaire elle-même. A partir du moment où il                      y a eu endothélisation le risque de thrombose disparaît.                      Voir : Temps                      pariétal ou endothélio-plaquettaire, antiagrégants.
P. A. : Les résultats de la mise en place du stent ?
P. Geslin : Le taux de succès immédiat est très élevé dans toutes les équipes et dépasse 95%.
P. A. : Quels sont les principaux ennuis qui surviennent lors de la mise en place du stent, immédiatement après et plus tard ?
P. Geslin : Une angioplastie a un risque opératoire                      du même ordre que l’autre technique de revascularisation,                      l’intervention chirurgicale de pontage aorto-coronaire. Dans                      les deux cas, le risque est bas, de l’ordre de 1% de mortalité                      (comprenant la mortalité pendant l’intervention et                      pendant toute l’hospitalisation). Le risque de survenue d’un                      infarctus du myocarde est de 0,5%. Enfin il peut y avoir un                      détachement de matériel d’athérome au                      niveau de l’aorte ou de caillots, responsables d’embolies                      périphériques, en particulier cérébrale.
                     Dans les jours qui suivent l’intervention, le risque est faible                      et est essentiellement celui de la survenue d’une obstruction                      au niveau de l’angioplastie, par formation d’un caillot.
                     Il faut également noter la possibilité d’hématomes,                      parfois problématiques, au point de ponction de l’artère                      fémorale.
                     Plus à distance peut survenir le phénomène                      de resténose que l’on a qualifié de "talon                      d’Achille de l’angioplastie". Il s’agit d’une hyperplasie                      intimale, véritable phénomène de cicatrisation                      au niveau de l’angioplastie, aboutissant à un rétrécissement                      progressif de l’artère coronaire. Ce phénomène                      survient dans les mois qui suivent l’angioplastie et très                      exceptionnellement au delà du sixième mois.                      La fréquence de la resténose dépend du                      type d’atteinte traitée et de certains facteurs plus                      généraux tels que le diabète : elle est                      de l’ordre de 10 à 20% des cas avec les endoprothèses                      classiques actuelles, c’est-à-dire non imprégnées.                      Sa survenue oblige dans la moitié des cas à                      une réintervention, le plus souvent une nouvelle angioplastie                      coronaire. Au-delà du sixième mois, il est exceptionnel                      qu’il y ait une évolution au niveau du segment d’artère                      traité. Bien sûr, la maladie athéromateuse                      peut évoluer sur le reste du réseau artériel.
P. A. : Qu’est-ce qu’un stent" imprégné"? Quel est son intérêt ?
P. Geslin : Un stent imprégné est une endoprothèse sur laquelle a été fixé un médicament visant à supprimer soit la formation de caillots soit, et surtout, la resténose. C’est ce dernier type d’endoprothèse imprégnée qui a fait la une des journaux récemment. En effet, des molécules telles que le sirolimus ou le taxol, fixées à la surface de l’endoprothèse coronaire, se montrent capables de réduire de façon considérable le taux de resténose. Les études récemment publiées le démontrent de façon très spectaculaire. Il est cependant nécessaire d’avoir plusieurs années de recul pour être certain qu’il n’y a pas secondairement une évolution d’un type différent de celle que l’on connaît actuellement. A cette réserve près il s’agit d’un progrès considérable dans l’angioplastie et certains parlent de révolution thérapeutique. Voir : RAPAMUNE* (Sirolimus).
P. A. : Cette imprégnation est certainement une innovation intéressante qui ouvre d’ailleurs le champ à d’autres applications mais augmente sans doute le coût de l’intervention. Quel est le prix moyen d’un stent normal et d’un stent "imprégné". Quel est le coût de l’intervention ?
P. Geslin : C’est la limitation actuelle la plus importante de cette technique puisqu’un stent imprégné coûte environ 1800 € et un stent " normal " environ 600 €. Le coût de l’intervention tel qu’il est coté par la Sécurité Sociale est de 1140 €.
P. A. : Autrement dit, le prix du stent imprégné dépasse largement celui de l’intervention tout compris, tel qu’elle est remboursée par la Sécurité Sociale. Combien d’endoprothèses posez-vous en moyenne par an à Angers ?
P. Geslin : Nous plaçons environ 500 endoprothèses par an.
P. A. : Quand avez-vous commencé à poser des stents?
P. Geslin : En 1991.
P. A. : C’est-à-dire assez peu de temps après la publication introduisant cette technique.
P. A. : Quelles sont les places de la cardiologie interventionnelle et de la chirurgie? de la chirurgie cardiaque a minima ?
P. Geslin : Ces deux méthodes de revascularisation                      coronaire sont, en fait, complémentaires et rarement                      en compétition : un quart des revascularisations sont                      faites par voie chirurgicale, et trois quarts par angioplastie.
                     La chirurgie s’adresse surtout à des revascularisations                      complexes pour des occlusions coronaires ou une atteinte de                      plusieurs vaisseaux. A contrario, l’angioplastie s’adresse                      aux atteintes plus simples. Quant à la chirurgie cardiaque                      a minima, nouvelle technique moins invasive que la chirurgie                      classique, elle a ses défenseurs, mais actuellement,                      elle est considérée comme encore en évaluation.
P. A. : Peut-on placer plusieurs stents chez le même malade ?
P. Geslin : On peut bien sûr positionner un ou plusieurs stents sur la même artère ou sur des artères différentes.
P. A. : Quels sont les services de cardiologie qui peuvent prendre en charge ce type d’intervention ?
P. Geslin : Il faut une équipe de cardiologie                      interventionnelle comportant des médecins formés                      spécialement à cette technique et une salle                      de radiologie équipée en conséquence.
                     Comme pour beaucoup de techniques médicales, le volume                      d’interventions par centre est important pour atteindre une                      bonne qualité. Les recommandations de la Société                      Française de Cardiologie sont que les Centres de Cardiologie                      interventionnelle effectuent au moins 400 angioplasties par                      an pour avoir une qualité suffisante.
P. A. : Merci Philippe Geslin, vos réponses vont certainement intéresser les " lecteurs " de Pharmacorama.
