Auteur : Pierre Allain

Objectif de la pharmacovigilance

L’objectif de la pharmacovigilance est la réduction de la fréquence et de la gravité des effets indésirables des médicaments tout en maintenant ou, mieux, en améliorant leur efficacité. En aucun cas un effet indésirable d’un médicament ne doit être analysé sans tenir compte de ses propriétés générales et de la gravité de la maladie pour laquelle il est prescrit.

Les conditions nécessaires pour atteindre cet objectif sont, outre la qualité du médicament, une bonne connaissance de ses propriétés et de certaines particularités du malade.

Qualité des médicaments

Cet aspect concerne plus particulièrement l’industrie pharmaceutique et l’administration responsable de l’autorisation de la mise sur le marché du médicament et de son retrait éventuel.

Les nouveaux médicaments doivent être plus efficaces et mieux tolérés que les anciens, mais il est illusoire de penser qu’ils seront totalement dépourvus d’effets indésirables.

L’information concernant chaque médicament, qu’elle soit destinée au médecin ou au malade (notice d’accompagnement du médicament) doit être objective et claire et constamment tenue à jour.

Connaissance des médicaments

Le médecin qui prescrit les médicaments doit être particulièrement averti de leurs effets indésirables afin de les prévenir par le choix le plus approprié et de les déceler dès leur apparition pour éviter, par l’arrêt, si nécessaire, du médicament supposé responsable, les conséquences parfois graves pour le malade.

La quasi-totalité des effets indésirables connus de chaque médicament est répertoriée dans le RCP ou Résumé des Caractéristiques du Produit, document établi sous le contrôle de l’Agence du Médicament, distribué par le laboratoire pharmaceutique fabricant et reproduit dans divers ouvrages ou banques de données informatisées qu’il faut consulter avant de prescrire un médicament qu’on ne connaît pas bien et en cas de suspicion d’effets indésirables. Ces informations résultent en grande partie de la mise en commun des effets indésirables déclarés. Ceci souligne l’importance de la déclaration aux Centres Régionaux de Pharmacovigilance de tout effet indésirable grave susceptible d’être provoqué par un médicament.

Le pharmacien qui délivre les médicaments doit, en examinant les ordonnances, relever les erreurs de prescription, notamment les incompatibilités entre médicaments, et déceler les ordonnances falsifiées. Il doit aussi prêter attention aux divers produits en vente libre dans sa pharmacie, appelés produits conseils, qui sont le plus souvent d’origine végétale mais pas toujours anodins.

Enfin sont concernés toutes les autres personnes qui participent aux soins, dentistes, infirmières, sage-femmes ainsi que les malades eux-mêmes.

Une connaissance suffisante des médicaments est difficile à acquérir car on dispose de très nombreux principes actifs agissant par des mécanismes complexes. La multiplication des présentations commerciales du même produit actif, soit par co-commercialisations (même médicament nouveau commercialisé sous des dénominations commerciales différentes), soit par des génériques (commercialisation de médicaments anciens qui ne sont plus protégés par un brevet, sous diverses dénominations commerciales, pouvant donner l’illusion qu’il s’agit de molécules nouvelles) demande une attention particulière de la part des prescripteurs.

Connaissance du malade

Un diagnostic exact ne garantit pas un bon traitement, mais un diagnostic erroné sera à l’origine d’un traitement inapproprié ou dangereux. Le diagnostic ne concerne pas seulement la maladie mais comprend l’évaluation globale de l’état du malade et de ses éventuelles particularités, insuffisance rénale, âge avancé, grossesse…

Insuffisance rénale

L’existence d’une insuffisance rénale aiguë ou chronique doit conduire à une diminution de la posologie des médicaments à élimination rénale prédominante.

Age avancé

La majorité des effets indésirables des médicaments surviennent chez des personnes âgées de plus de 60 ans. Pour expliquer cette fréquence importante, deux raisons peuvent être invoquées :

  • la sensibilité des personnes âgées aux médicaments.
    La plus grande sensibilité des personnes âgées aux médicaments, quand elle existe, repose sur des altérations pathologiques telles que l’insuffisance rénale. Elle ne doit pas servir de prétexte à l’acceptation d’effets indésirables trop fréquents chez elles mais être une raison pour adapter leur traitement.
  • une consommation médicamenteuse très nettement supérieure à celle de l’adulte.
    Le risque de maladies et d’ennuis multiples avec altération de l’état général augmente avec l’âge, et par là-même la fréquence et la multiplicité des traitements. Chaque médecin est tenté de prescrire un ou deux médicaments pour atténuer le trouble dont se plaint le malade; mais, comme ce dernier présente successivement plusieurs troubles et qu’il consulte parallèlement plusieurs médecins, il finit par avoir une multitude de médicaments. Le médecin généraliste devrait faire périodiquement un inventaire de tous les médicaments prescrits au malade ou pris par lui de sa propre initiative pour en élaguer quelques uns. Cette attitude suppose que le médecin généraliste ait de bonnes connaissances de pharmacologie.

Grossesse

Lors de la prescription d’un médicament à la femme enceinte, il faut tenir compte autant, sinon plus, de la grossesse et du risque tératogène que de la maladie elle-même.

Depuis, notamment, l’expérience malheureuse de la thalidomide, on sait que des médicaments peu toxiques pour l’adulte peuvent, lorsqu’ils sont administrés à la femme enceinte, entraîner des malformations graves et fréquentes chez le foetus (action tératogène). Le risque tératogène d’un médicament est le plus élevé durant les trois premiers mois de la grossesse, exception faite des dix premiers jours. On admet en effet qu’un médicament pris dans les dix premiers jours qui suivent la conception entraîne, s’il est toxique pour le foetus, un avortement (loi du tout ou rien).

Lorsqu’il envisage de prescrire un médicament à une femme, le médecin doit l’interroger sur la possibilité d’une grossesse, ne pas se poser la question du passage transplacentaire du médicament car, à de très rares exceptions près comme l’héparine, tous les médicaments « traversent » le placenta, mais se poser la question du risque tératogène.

Il s’agit d’un problème très complexe et, sans entrer dans les détails, la démarche suivante peut être proposée :

  • ne prescrire à la femme enceinte que les médicaments et les examens radiologiques indispensables
  • si une prescription est nécessaire, choisir dans la classe thérapeutique un médicament ancien qui a déjà été fréquemment utilisé chez la femme enceinte sans effet tératogène
  • mettre la femme enceinte en garde contre l’utilisation de certains médicaments qui peuvent paraître anodins ou être utilisés pour traiter des affections peu graves, par exemple la vitamine A à doses excessives et certains de ses dérivés.

Parmi les accidents tératogènes particulièrement graves, on peut citer ceux de la thalidomide et ceux du diéthylstilbestrol. La thalidomide est un sédatif à effet tranquillisant qui, prescrit aux femmes enceintes, en Allemagne notamment, a entraîné de nombreuses malformations chez l’enfant à type de phocomélie (malformations des membres rappelant ceux des phoques). Le diéthylstilbestrol est un estrogène de synthèse qui, prescrit à un grand nombre de femmes enceintes pour contrecarrer une menace d’accouchement prématuré (en réalité, il était inactif dans cette indication) a entraîné des cancers du vagin apparaissant chez les filles de 15 à 20 ans nées de mères traitées. Les effets indésirables graves et inattendus de la prise de diéthylstilbestrol par les femmes enceintes dont l’historique est rappelée dans le tableau qui suit méritent d’être connus car ils illustrent la difficulté de leur mise en évidence et surtout de la prise des décisions qui devrait en découler.

Enfin un médicament non tératogène lorsqu’il est pris par la femme enceinte en début de grossesse peut être toxique pour le foetus lorsqu’il est pris durant le deuxième ou troisième trimestre de la grossesse. C’est le cas des inhibiteurs de l’enzyme de conversion qui peuvent donner oligohydramnios, retard de croissance, insuffisance rénale et même mort ftale.

Conclusion

Avant de prescrire un médicament, le médecin doit évaluer le bénéfice que le malade peut en retirer et le risque qu’il encourt, car l’effet indésirable d’un médicament ne doit jamais être dissocié de son effet bénéfique.

Il doit en outre s’efforcer de prescrire le médicament choisi en respectant sa posologie, ses contre-indications, ses interactions avec d’autres médicaments, ce qui lui permettra de réduire les effets indésirables au minimum, sans pouvoir malheureusement les éviter totalement.

 

Exemple d’effet indésirable grave : celui du diéthylstilbestrol (DISTILBÈNE*)

 

1938

Synthèse du diéthylstilbestrol par Dodds aux USA

1946

Il est proposé dans le traitement des menaces d’avortement spontané et les complications de la grossesse.

1953

Les effets comparatifs concluent à son inefficacité et soulignent déjà ses dangers.

1970 – 1971

Aux USA, découverte de plusieurs cancers du vagin chez des jeunes filles de 15 à 22 ans dont les mères avaient été traitées par le diéthylstilbestrol durant leur grossesse et interdiction de son utilisation obstétricale.

1974 – 1975

Observations similaires en France.

1976

Dans le Dictionnaire Vidal, l’indication « avortement spontané à répétition » est supprimée.

1977

Le diéthylstilbestrol est contre-indiqué chez la femme enceinte.

1981 – 1988

Nombreuses observations d’anomalies utérines et de stérilité chez les jeunes femmes dont la mère avait reçu du diéthylstilbestrol durant la grossesse.

Remarque

Chez le garçon soumis in utero au diéthylstilbestrol, la fréquence des cancers ne semble pas augmentée mais les anomalies testiculaires, sans diminution de la fertilité, seraient plus fréquentes.