Auteur : Pierre Allain

Antinéoplasiques intercalants et générateurs de radicaux libres

Certains médicaments ayant une structure moléculaire plane peuvent s’intercaler entre deux brins de DNA et sont appelés agents intercalants. En général, l’intercalation seule n’est pas suffisante pour perturber la replication et la transcription du DNA. Le médicament qui s’intercale doit altérer chimiquement le DNA, le plus souvent par formation de radicaux libres, et inhiber sa replication ou sa transcription. Les sporalènes illustrent cet aspect : en absence de lumière ils entrent en contact avec le DNA sans l’altérer, en présence de lumière ils l’altèrent.

Les agents intercalants sont les anthracyclines, la bléomycine et diverses autres molécules.

Anthracyclines et apparentés

Les anthracyclines sont d’origine fongique. Ils s’intercalent entre les brins de DNA et l’hydrolysent à la manière des nucléases et peuvent également entraîner des altérations membranaires.

Leur activité pharmacologique provient de réactions d’oxydoréduction avec formation d’intermédiaire semiquinone par gain d’un électron cédé par le NADPH et génération d’eau oxygénée, H2O2, de radicaux libres oxygène et ·OH. La formation de radicaux libres est potentialisée par la présence de fer et de cuivre. Une autre hypothèse suggère que les anthracyclines, notamment la doxorubicine, forment avec le fer ou le cuivre un complexe organométallique susceptible de produire par une réaction d’oxydoréduction cyclique des ions superoxydes.

Les principales anthracyclines sont la daunorubicine, la doxorubicine, l’épirubicine, la zorubicine, l’aclarubicine, la pirarubicine et l’idarubicine.

Sur le plan pharmacocinétique, leur administration se fait par voie intraveineuse, généralement en perfusion, et leur demi-vie plasmatique est courte.

La glycoprotéine P diminue leur activité en les faisant sortir de la cellule.

Les indications des anthracyclines sont les leucémies et les lymphomes.

Daunorubicine

CÉRUBIDINE* Inj
DAUNOXOME*, liposomal

Doxorubicine

ADRIBLASTINE*
CAELYX* I nj, liposomal
MYOCET* Inj, liposomal

Epirubicine

FARMORUBICINE* Inj

Pirarubicine

THÉPRUBICINE* Inj

Idarubicine

ZAVEDOS* Inj

L’encapsulation de la doxorubicine et de la daunorubicinedans les liposomes modifie leurs caractéristiques pharmacocinétiques et leur permettrait une meilleure pénétration dans certains tissus tumoraux.

Les effets indésirables des anthracyclines sont la myélosuppression et surtout les cardiomyopathies qui peuvent apparaître même après l’arrêt du traitement. La substance qui paraît la plus prometteuse comme antidote de la cardiotoxicité des anthracyclines est le dexrazoxane, CARDIOXANE* (Voir « Dexrazoxane ».).

La mitoxantrone (anthrancènedione) est à rapprocher des anthracyclines. Ses indications sont les leucémies aiguës myéloblastiques, les lymphomes non hodgkiniens et le cancer du sein métastatique.

Mitoxantrone

NOVANTRONE* Inj

La mitomycine peut se comporter comme agent alcoylant par son cycle aziridine. De plus, comme les anthracyclines, elle donne des radicaux libres par formation d’une semiquinone. Elle est utilisée dans le traitement des cancers du tube digestif, du sein et de la vessie.

Mitomycine C

AMÉTYCINE* Inj

Bléomycine

Extraite de Streptomyces verticillus, la bléomycine comporte en réalité deux produits actifs appelés bléomycine A2 et B2. La bléomycine est un chélateur qui, en présence d’un agent réducteur, RSH, d’oxygène et d’un élément fer ou cuivre, provoque la formation de radicaux libres qui altèrent le DNA. La forme active serait le complexe bléomycine-fer qui libérerait un radical ·OH en mettant en jeu des réactions complexes.

Les indications de la bléomycine sont les carcinomes épidermoïdes, les cancers ORL, les cancers de la peau, de la vessie et du testicule.

La bléomycine est peu toxique pour la moelle osseuse, mais elle a une toxicité pulmonaire et l’apparition de râles et de toux doit faire suspecter le début d’une fibrose pulmonaire, parfois mortelle.

Bléomycine

BLÉOMYCINE* Inj

Autres antinéoplasiques

  • Dactinomycine ou actinomycine D.
    La dactinomycine, produite par certains types de Streptomyces, comporte un noyau phénoxazone qui s’intercale dans la chaîne du DNA et forme un complexe dactynomycine-DNA qui bloque la transcription du DNA en RNA par la RNA polymérase, plus sensible à son action que la DNA polymérase. Elle peut s’intercaler entre les deux chaînes de DNA sous trois conformations différentes. Elle a des propriétés antibiotiques non utilisables en raison de sa toxicité. Elle potentialise les effets de la radiothérapie. Elle est utilisée dans le traitement de divers types de tumeurs dont les tumeurs de Wilms. Elle est commercialisée dans certains pays sous le nom de COSMEGEN*.

    La dactinomycine est un produit toxique dont le contact avec la peau ou les muqueuses lors de la préparation de la solution à perfuser doit être évité.
  • Plicamycine ou mithramycine.
    La plicamycine a un mécanisme d’action identique à celui de la dactinomycine. Elle a, de plus, un effet hypocalcémiant et a été utilisée dans le traitement des hypercalcémies. Ses indications étaient les carcinomes disséminés du testicule. Elle n’est plus commercialisée.
  • Amsacrine
    L’amsacrine est un agent intercalant et un inhibiteur de la topo-isomérase II, utilisé dans le traitement des leucémies. Il n’est plus commercialisé en France.
  • Elliptinium
    L’elliptinium est un agent intercalant ayant, en outre, un effet membranaire. Il a été utilisé dans le traitement du cancer du sein métastasé.