Le L-tryptophane est l’acide aminé précurseur de la sérotonine : Dans l’organisme , après son absorption, le L-tryptophane sous l’influence de la tryophane hydroxylase,( enzyme limitante de la synthèse de sérotonine, en réalité il y a 2 isoenzymes, TPH1 périphérique et TPH2 centrale) est transformé en L-5-hydroxytrytophane qui ,sous l’influence de décarboxylases, est métabolisé en 5-hydroxytryptamine ou sérotonine.
Compte tenu du fait que le tryptophane et le 5-hydroxytryptophane sont les précurseurs de la sérotonine et que celle-ci a de nombreux effets biologiques ils ont été l’objet de nombreuses expérimentations animales et humaines depuis une quarantaine d’années.
En France le D,L- 5-hydroxytryptophane, forme racémique, a été commercialisé en 1973 dans l’indication états dépressifs et sa commercialisation arrêtée en 1991, voir BIAM.
Par ailleurs, le L-5-hydroxytryptophane, énantiopur, qu’on appelle aussi oxitriptan, est commercialisé en France depuis 1983 sous le nom de Lévotonine* avec l’indication « syndrome des myoclonies postanoxiques de Lance et Adams ».
Tryptophane et 5-hydroxytryptophane sont-ils efficaces dans les troubles dépressifs ? Beaucoup d’études ont été publiées à ce sujet et une synthèse de l’ensemble de ces études (cochane review, 2001), aboutit à une conclusion mitigée : le tryptophane et le 5-hydroxytryptophane paraissent meilleurs que le placebo pour atténuer les troubles dépressifs mais il faudrait d’autres études pour le confirmer.
La survenue, un peu avant 1990, du syndrome éosinophilie-myalgie (SEM et en anglais eosinophilia-myalgia syndrome, EMS) chez des personnes prenant du tryptophane (ou éventuellement du 5-hydroxytryptophane, les choses ne sont pas très claires à ce sujet) a freiné l’utilisation de ces deux acides aminés comme médicaments et temporairement comme suppléments alimentaires. L’arrêt de commercialisation de la Prétonine* en 1991 est sans doute lié à ce syndrome éosinophilie-myalgie.
Selon une publication de 1991 il y aurait eu aux USA, avant 1990, 1536 cas de SEM et 27 morts. Le SEM a été attribué à un contaminant, appelé souvent pic X, présent dans le tryptophane fourni par la société japonaise Showa Denko. Le fait que le SEM puisse apparaître chez des personnes ne prenant pas de tryptophane ou de 5-hydroxytryptophane a conduit à s’interroger sur ses causes. Un épidémiologiste américain s’est demandé quelques années plus tard si l’épidémie de SEM des années 1988-1990 n’était pas un artéfact due à une poussée d’enthousiasme pour rapporter de nouveaux cas !
Un autre auteur a montré que sur plus de 1500cas de SEM décrits on ne pouvait retenir sur des critères rigoureux qu’une vingtaine.
On ne sait donc pas grand chose du SEM des années 1990 et on ne sait pas non plus si de nouveaux cas attribuables au tryptophane ou au 5-hydroxy tryptophane sont encore rapportés.
Aujourd’hui le tryptophane et le 5-hydroxytryptophane ne sont guère utilisés comme médicaments, en France la seule spécialité existante est la Lévotonine avec une indication très particulière, voir plus haut. En revanche ils sont certainement utilisés comme « suppléments alimentaires » si l’on en juge par les publicités dont ils sont l’objet sur internet, avec des notices soulignant leur caractère « naturel » et leur intérêt dans les troubles dépressifs, l’anxiété, l’insomnie et l’obésité.
Dans cette situation pour le moins floue, et qui probablement le restera, on peut donner quelques points de repères :
- Le tryptophane et le 5-hydroxytryptophane sont des acides aminés avec un carbone asymétrique et existent sous la forme d’isomères D et L . La configuration L étant physiologique, c’est elle qui devrait être utilisée mais est-ce toujours le cas ?
- Les besoins quotidiens (RDA = Recommended Daily Allowance) d’un adulte en L-tryptophane sont estimés à environ 200mg et l’alimentation normale en apporterait plus de 500mg, il n’y a donc pas, en principe, de déficience d’apport en L-tryptophane. Un apport supplémentaire de L-tryptophane ou de L-5- hydroxytryptophane augmente la formation de sérotonine dans le cerveau , ce qui est recherché, mais aussi à la périphérie, ce qui n’est pas recherché car pouvant entraîner des troubles digestifs et peut-être cardiovasculaires et ceci d’autant plus que la quantité prise est élevée. Par ailleurs on peut penser qu’une prise prolongée de l’un de ces 2 acides aminés à dose élevée conduira à phénomènes d’adaptation de l’organisme avec diminution de l’efficacité s’il y en avait une, et à l’arrêt de la prise à une sorte d’état de manque avec aggravation des troubles dépressifs.
- Enfin y a risque d’interactions entre tryptophane et 5-hydroxytryptophane d’une part et les médicaments sérotoninomimétiques d’autre part, en particulier les IMAO peu utilisés aujourd’hui mais aussi avec les autres antidépresseurs.
En conclusion, dans l’état actuel des choses, la prise prolongée de L-tryptophane ou de L-5-hydroxytryptophane à doses élevées (comme celles qui sont souvent proposées par les distributeurs) pourrait présenter plus de risques que d’avantages.
Voir la position de la FDA sur le sujet.