Auteur : Pierre Allain

Caractéristiques générales des complexes

La réaction de formation d’un complexe s’écrit :

L + M <=> LM

L désigne le ligand, M le métal et LM le complexe.

Ligand L

Les molécules « ligands » comportent des atomes d’oxygène, d’azote ou de soufre qui, grâce à leur doublet libre, jouent le rôle de donneurs d’électrons.

Les molécules ayant des électrons p, c’est-à-dire des doubles liaisons (alkènes) ou des triples liaisons (alkynes) peuvent aussi jouer le rôle de donneur d’électrons aux éléments. Ainsi les acides gras polyinsaturés peuvent établir des liaisons avec des éléments accepteurs d’électrons.

Les agents complexants utilisés en thérapeutique sont habituellement appelés chélateurs, même s’ils ne fixent l’élément que par une seule liaison, sans former un véritable chélate.

Les ligands comportant des atomes d’oxygène et d’azote aliphatique interagissent préférentiellement avec les ions « durs » tels que le calcium, le magnésium, l’aluminium.

Les ligands comportant un atome de soufre interagissent préférentiellement avec le cadmium, le mercure. Un certain nombre d’éléments intermédiaires comme le plomb interagissent à la fois avec les ligands comportant des atomes d’oxygène, d’azote ou de soufre.

Certains ligands comme la pénicillamine peuvent être administrés par voie buccale car ils sont absorbés par le tube digestif, d’autres comme la déféroxamine qui ne le sont pas, doivent être administrés par voie parentérale.

Les chélateurs absorbés par le tube digestif sont des produits généralement liposolubles. En cas d’administration d’un chélateur par voie buccale, il faut tenir compte de la possibilité d’augmentation de l’absorption digestive du métal toxique s’il est présent dans le tube digestif.

Élément ou métal

Les éléments susceptibles d’exister à l’état de cations bichargés ou plurichargés forment des complexes avec les ligands.

Schématiquement, plus le rayon ionique d’un cation est faible et plus sa charge est élevée, plus il est polarisant et peu polarisable, et inversement.

Les éléments à pouvoir polarisant élevé ont été appelés durs ou « hard » et les éléments peu polarisants et polarisables appelés mous ou « soft ». Les éléments à effet polarisant fort interagissent essentiellement avec des atomes d’oxygène et d’azote du ligand alors que les éléments à effet polarisant faible interagissent surtout avec le soufre.

On a ainsi :

  • des cations très polarisants comme : Ca2+, Sr2+, Mn2+, Al3+, Fe3+
  • des cations moyennement polarisants comme : Fe2+, Co2+, Cu2+, Zn2+, Pb2+
  • des cations peu polarisants et polarisables comme : Cu+, Ag+, Au+, Tl+, Hg+, Hg2+, Cd2+.

Dans les milieux biologiques, les ions métalliques ne sont pas à l’état libre. Les ions alcalins, sodium et potassium, sont hydratés; ils ne forment pas de complexes mais peuvent s’incorporer dans des molécules-cages ou cryptants. Les ions alcalinoterreux, calcium et magnésium, sont soit hydratés, soit liés à des molécules organiques. Les autres éléments sont liés à des molécules endogènes, acides aminés, protéines comme l’albumine, la ferritine, la transferrine, la céruloplasmine etc.

Pour qu’un ligand interagisse avec un élément, il doit d’abord écarter les molécules d’eau ou les ligands endogènes entourant l’ion.

Complexe LM

Le complexe formé possède un certain nombre de caractéristiques : structure, stabilité, solubilité et réactivité.

Structure

Entre le ligand et le métal, il peut y avoir une ou plusieurs liaisons.

Lorsque le ligand ne comporte qu’un atome donneur d’électron, on a une liaison unique et le complexe est dit monodenté. Le méthyl-mercure et la cystéine, par exemple, forment un complexe monodenté, CH3-Hg-cystéine.

Très souvent le ligand comporte deux ou plusieurs groupes fonctionnels donneurs d’électrons, qui, lorsqu’ils sont placés dans une conformation leur permettant d’interagir avec le même élément, l’emprisonnent. L’élément se trouve ainsi pris entre les pinces de la molécule organique. Il est dit chélaté et le ligand s’appelle chélateur. Lorsque l’élément forme avec la molécule chélatrice des cycles de 5 ou 6 liaisons, le complexe est généralement très stable.

Le même élément M peut établir des liaisons avec un ou plusieurs ligands. Lorsque plusieurs ligands L se lient à l’élément M, on a un complexe de type LnM. Lorsqu’un ligand L1 et un ligand L2 se lient au même élément M on et a un complexe de type L1ML2.

Certains complexes ont des structures qui en font des analogues de molécules endogènes. Ainsi le complexe méthylmercure-cystéine est un analogue structural de la méthionine. Il utilise le même système de transport actif transmembranaire que la méthionine et certains autres acides aminés. L’administration de méthionine réduit la pénétration du méthylmercure dans le cerveau.

Stabilité

Lorsqu’un élément M et un ligand L sont présents dans un milieu, il s’établit un équilibre entre les concentrations des formes libres L et M et celle du complexe LM. La stabilité d’un complexe s’exprime par une constante.

La réaction générale entre un ligand L et un élément M s’écrit :

La constante d’association Ka encore appelée constante de stabilité (sens1) de cet équilibre est :

La constante de dissociation Kd (sens2) est :

Plus la concentration du complexe [LM] croît aux dépens de celle de M plus l’affinité (ou la spécificité) réciproque de L pour M est grande. Lorsqu’on dit que le Ka d’un équilibre est de 1024 cela veut dire que, pour 1024 molécules de complexe LM, il ne reste qu’une molécule de L et de M.

En cas de complexe de type L2M on a l’équilibre:

Un certains nombre de facteurs comme le pH du milieu et la dilution interviennent dans la formation des complexes, mais le facteur principal à prendre en compte dans les milieux biologiques est la compétition qui existe entre divers éléments et les molécules organiques pour former des complexes. En effet, les éléments sont déjà liés à diverses molécules endogènes et pour qu’un chélateur soit efficace dans le milieu biologique, il doit avoir une plus grande affinité pour l’élément que les molécules endogènes. Ainsi la déféroxamine chélate le fer à partir de l’hémosidérine, de la ferritine et à moindre degré de la transferrine, mais elle ne chélate pas le fer des cytochromes, ni le fer de l’hémoglobine qui ont une plus grande affinité pour le fer qu’elle.

Certains métaux peuvent changer de ligands : le mercure, Hg2+, et le méthylmercure, CH3-Hg+, lorsqu’ils sont dans un milieu contenant un excès de molécules à groupes thiol, RSH, échangent leurs ligands ; ils passent d’une molécule soufrée à l’autre. Ainsi certains chélateurs peuvent se comporter comme des transporteurs de mercure; le terme « mercaptan » qui désigne les molécules à groupe thiol, dérive de « mercury capture ».

Ionisation et solubilité

Lorsque le ligand lui-même ne porte pas de charge, le fait d’être donneur d’électron au métal ne modifie pas la charge de ce dernier. Par contre lorsque le ligand porte une charge négative, celle-ci neutralise une charge positive du métal. On a ainsi des exemples de chélation du cuivre Cu2+ par l’éthylène-diamine non ionisé, ce qui donne un complexe doublement chargé, alors que sa complexation par l’acide oxalique portant deux charges négatives donne un complexe neutre.

Les complexes formés par la plupart des chélateurs utilisés en thérapeutique comportent en dehors des atomes impliqués dans la formation du chélate, des groupes fonctionnels ionisés, leur ionisation étant souvent dépendante du pH du milieu. La ferrioxamine, c’est-à-dire la déféroxamine ayant chélaté un atome de fer, conserve une fonction amine ionisable non incorporée dans la liaison avec le fer. La persistance d’une fonction ionisée rend plus difficile la pénétration par diffusion passive du complexe dans la cellule ou dans le cerveau.

La distribution des complexes dans les différents compartiments de l’organisme dépend essentiellement de leur solubilité.

  1. S’ils sont liposolubles, ils peuvent pénétrer dans les cellules à travers la bicouche lipidique ainsi que dans le cerveau, mais on n’a guère de données précises concernant leur toxicité éventuelle.
    Certains chélateurs non liposolubles peuvent former avec les éléments des complexes liposolubles, ce qui facilite leur pénétration dans la cellule et dans le système nerveux central. On ne sait pas si le complexe se dissocie dans la cellule pour libérer le métal.
  2. S’ils sont hydrosolubles, ils restent extracellulaires et sont plus facilement éliminés. Toutefois, si leur structure ressemble à celle de molécules endogènes utilisant des transports actifs, ils peuvent pénétrer dans la cellule et le cerveau en empruntant les transporteurs.

Réactivité

Un complexe organométallique n’est pas nécessairement une molécule inerte, comme le prouvent les cytochromes et l’hémoglobine qui jouent des rôles essentiels en biologie.

Les effets et la toxicité d’un élément peuvent être soit augmentés, soit diminués après chélation. Lorsqu’un élément oxydoréduteur se lie à un ligand organique, son potentiel d’oxydo-réduction est modifié mais non supprimé. C’est le cas du fer chélaté par l’éthylène diamine tétra-acétate ou EDTA. Le potentiel d’oxydo-réduction de l’équilibre fer ferreux/fer ferrique est de 0,77 V alors que celui du fer chélaté par l’EDTA est de 0,14 volt.

Selon les conditions expérimentales le complexe EDTA-Fe peut être plus ou moins toxique que le fer lui-même. Mais il existe relativement peu de données à ce sujet car, dans la littérature, l’effet du chélateur sur l’élément a été étudié surtout du point de vue pharmacocinétique (élimination), et non du point de vue de la toxicité qui est pourtant incomparablement plus important.

Remarque

A côté des chélateurs, il existe des composés macrocycliques qui comportent une cavité dans laquelle peut venir se loger d’une manière souvent très spécifique un cation ou un anion. Les ensembles ainsi formés sont désignés par les termes de clathrates, cryptates, éther-couronnes ou calixarènes.