Auteur : Pierre Allain

Antagonistes des récepteurs nicotiniques

Les antagonistes nicotiniques inhibent les effets de l’acétylcholine sur les récepteurs nicotiniques. Selon leurs effets prépondérants, on distingue les antagonistes agissant au niveau du système nerveux autonome, ou ganglioplégiques, et ceux qui agissent au niveau de la synapse neuromusculaire, ou curarisants.

Ganglioplégiques

Le terme de ganglioplégiques désigne les médicaments qui, en s’opposant à l’effet de l’acétylcholine sur les ganglions du système nerveux autonome, inhibent la transmission synaptique. Ils inhibent à la fois l’influence du sympathique et du parasympathique sur les organes innervés par le système nerveux autonome. Ils inhibent les récepteurs postsynaptiques nicotiniques sans stimulation préalable, contrairement à la nicotine qui les stimule à dose moyenne et les inhibe à dose très élevée.

Après administration d’un ganglioplégique à dose suffisante, l’excitation des fibres présynaptiques sympathiques et parasympathiques devient inactive alors que l’excitation des fibres postsynaptiques entraîne une réponse de l’effecteur.

SYSTEME DOMINANT

ORGANES

EFFETS

Tonus sympathique
supérieur à
Tonus parasympathique

 

Vaisseaux (artères, veines)

Vasodilatation

Tonus sympathique
inférieur à
Tonus parasympathique

Cœur

Œil

Intestin

Vessie

Tachycardie

Mydriase

Diminution
du tonus
de la motilité
Constipation

Rétention d’urine

Effet d’un ganglioplégique de type penthonium

Les effets observés sur les différents organes dépendent de la prédominance de l’effet sympathique ou parasympathique :

  • Si le tonus sympathique prédomine sur le tonus parasympathique, la suppression des deux influences se manifestera par des effets de type parasympathique;
  • Inversement, si le tonus parasympathique prédomine sur le tonus sympathique, la ganglioplégie entraînera un effet de type sympathique.

Les ganglioplégiques dont la substance de référence était le penthonium ne sont plus utilisés en thérapeutique en raison de leur manque de spécificité, car ils inhibent à la fois le sympathique et le parasympathique

Curarisants

Les inhibiteurs des récepteurs nicotiniques neuromusculaires sont des curarisants utilisés en thérapeutique pour provoquer un relachement des muscles squelettiques pendant les interventions chirurgicales. On en distingue deux types : les antagonistes compétitifs de type tubocurarine et les antagonistes dépolarisants de type suxaméthonium qui agissent comme un excès d’acétylcholine.

Inhibiteurs de la dépolarisation ou acétylcholinocompétitifs

Les acétylcholinocompétitifs ont une grande affinité pour les récepteurs nicotiniques postsynaptiques sur lesquels ils se fixent. En s’opposant aux effets de l’acétylcholine, ils inhibent l’ouverture des canaux cationiques et la transmission synaptique est inhibée. Toutefois un excès d’acétylcholine tend à chasser, par compétition, ces antagonistes des récepteurs cholinergiques et à rétablir la transmission. Tout produit susceptible d’augmenter la concentration d’acétylcholine au niveau de la plaque motrice tend à antagoniser les effets des acétylcholinocompétitifs.

Le mécanisme d’action de la d-tubocurarine a été démontré expérimentalement.

Lorsqu’on introduit de la d-tubocurarine au niveau de la plaque motrice d’une fibre musculaire isolée, on constate les faits suivants :

  1. La d-tubocurarine n’a pas d’action propre et ne donne ni contraction, ni dépolarisation.
  2. Elle inhibe la contraction musculaire consécutive à la stimulation du nerf moteur ou à l’application d’acétylcholine au niveau de la synapse.
  3. Elle réduit à la fois l’amplitude et la durée du potentiel de plaque motrice provoqué par la stimulation du nerf ou l’application d’acétylcholine.
  4. L’apport d’un excès d’acétylcholine ou d’un anticholinestérasique s’oppose à ses effets.

Lorsque l’on applique de la d-tubocurarine en dehors de la plaque neuromusculaire, sur le nerf ou le muscle, elle est sans action, même à dose élevée.

La conséquence de l’inhibition de la transmission neuromusculaire est un relâchement musculaire commençant par les muscles des extrémités, atteignant les muscles du tronc, de la nuque et enfin le diaphragme. En absence de respiration artificielle, la paralysie du diaphragme provoque la mort par anoxie.

La récupération, c’est-à-dire la disparition des effets de la d-tubocurarine, commence par les muscles de la face et du diaphragme puis successivement par les muscles des jambes, des bras, du tronc, du pharynx.

La d-tubocurarine ne provoque ni perte de conscience, ni troubles de la mémoire, ni analgésie, ni altération des sensations, car elle ne traverse pas la barrière hémato-encéphalique.

La d-tubocurarine n’a pas d’effet ganglioplégique notable. Elle modifie peu le rythme cardiaque et la pression artérielle. Toutefois, lors de l’injection rapide d’une dose élevée, on peut observer une chute de la tension artérielle dont le mécanisme n’est pas entièrement élucidé : la diminution du retour veineux, consécutive au relâchement musculaire, et la libération d’histamine qu’elle provoque pourraient la favoriser.

La d-tubocurarine n’est plus utilisée car les nouveaux produits commercialisés sont plus intéressants. Leur effet apparaît plus rapidement après leur administration et cesse plus franchement après leur arrêt que celui de la d-tubocurarine. Leur cinétique d’action tend à se rapprocher de celle du suxaméthonium. Ils sont moins ganglioplégiques et moins libérateurs d’histamine.

Les médicaments utilisés actuellement sont le pancuronium, le vécuronium, le tracrium, le rocuronium, le mivacurium et le cisatracurium.

Le mivacurium a la particularité d’être inactivé par les pseudocholinestérases et, lorsque ces dernières sont déficientes, sa durée d’action est très augmentée.

Pancuronium

PAVULON* Inj

Vécuronium

NORCURON* « 

Atracurium

TRACRIUM* « 

Rocuronium

ESMERON* « 

Mivacurium

MIVACRON* « 

Cisatracurium.

NIMBEX* « 

Certains médicaments sont susceptibles de modifier l’activité des acétylcholinocompétitifs :

  • par antagonisme : les anticholinestérasiques (néostigmine etc.)
  • par synergie : les ganglioplégiques et certains antibiotiques du groupe des aminosides (streptomycine, néomycine, kanamycine), du groupe des polypeptides (polymyxine, colimycine et les tétracyclines), l’ion magnésium et les anesthésiques généraux volatils tels que l’halothane et le forane.

Inhibiteurs dépolarisants

Le seul médicament de ce groupe à être utilisé en clinique est le suxaméthonium ou succinylcholine. Le suxaméthonium n’est pas un cholinolytique mais un cholinomimétique qui, apporté en excès, se comporte comme un cholinolytique.

Le suxaméthonium, après une stimulation initiale transitoire, inhibe la transmission neuromusculaire comme le ferait un excès d’acétylcholine. L’inhibition résulte d’une désensibilisation des récepteurs à l’effet de l’acétylcholine.

L’action myorésolutive du suxaméthonium se caractérise essentiellement par sa brièveté : chez l’homme après une administration unique par voie intraveineuse, la résolution musculaire, souvent précédée de fasciculations et de contractions musculaires, apparaît en moins d’une minute et disparaît en moins de trois minutes. Si l’on désire obtenir une curarisation plus longue, il faut l’administrer en perfusion intraveineuse.

Cette brièveté d’action du suxaméthonium est la conséquence de son hydrolyse par les cholinestérases sériques pour donner la choline et la succinyl-mono-choline qui est elle-même hydrolysée en choline et acide succinique.

Chez certains individus, il existe un déficit de l’activité cholinestérasique et l’hydrolyse du suxaméthonium se fait extrêmement lentement, ce qui entraîne une plus longue durée d’action et la possibilité d’accidents lors de son utilisation en anesthésiologie. En cas d’accident de ce type, il n’y a pas d’antidote. On peut apporter l’enzyme par une transfusion de sang total ou de plasma.

On ne connaît pas d’antagoniste du suxaméthonium mais on connaît des médicaments qui renforcent son action : les anticholinestérasiques et des médicaments comme la procaïne qui sont aussi hydrolysés par les pseudocholinestérases.

Suxaméthonium

CÉLOCURINE* Inj

Les principaux effets secondaires observés avec le suxaméthonium résultent d’une stimulation de certains récepteurs cholinergiques : la stimulation muscarinique peut être à l’origine d’une bradycardie, d’hypotension, d’un bronchospasme, alors que la stimulation des récepteurs nicotiniques peut donner une tachycardie et une hypertension. On peut aussi observer une hyperkaliémie par fuite de potassium intracellulaire dans le plasma.

Utilisation thérapeutique

Tout muscle squelettique même à l’état de repos est soumis à une tension que l’on désigne par tonus musculaire. Cette tension musculaire qui se montre gênante au cours des interventions chirurgicales peut être réduite ou supprimée temporairement par l’administration d’inhibiteurs de la transmission neuromusculaire qui soustraient le muscle squelettique à l’influence de son nerf moteur. Environ 95% des patients anesthésiés reçoivent des inhibiteurs de la transmission neuromusculaire. La principale cause de décès post -anesthésique est la dépression respiratoire qui peut être provoquée par les curarisants.

Indications

Les curarisants sont couramment utilisés en chirurgie, en orthopédie, en endoscopie (intubation, etc.) et pour prévenir les traumatismes au cours des électrochocs et du tétanos.

Contre-indications

  • L’absence d’un matériel pouvant permettre une ventilation artificielle efficace et surtout l’absence d’un anesthésiologiste qualifié sont des contre-indications absolues à l’emploi des curarisants.
  • Certains patients, les myasthéniques, les anciens poliomyélitiques et les malades traités par des médicaments susceptibles de renforcer l’action des myorésolutifs, nécessitent des précautions d’emploi des curarisants.

Une recurarisation, due par exemple à la diffusion d’un antibiotique, peut avoir de graves conséquences lorsqu’elle survient après cessation de la respiration assistée.

L’antidote à une curarisation excessive provoquée par les acétylcholinocompétitifs est la prostigmine.