Auteur : Pierre Allain

Modificateurs du métabolisme des hormones thyroïdiennes

Il n’existe pas encore en thérapeutique de substances s’opposant aux effets des hormones thyroïdiennes, mais il existe des possibilités de modifier leur métabolisme, soit en inhibant la capture d’iode par la thyroïde, soit en inhibant la synthèse hormonale.

Inhibiteurs de la captation d’iodure

Des anions monovalents comme le thiocyanate, SCN, et le perchlorate, ClO4, entrent en compétition avec l’iodure et inhibent sa captation par la glande thyroïde. Ces anions ne sont guère utilisés en thérapeutique, sauf en cas d’intoxication par l’iode, mais sont parfois utilisés pour l’exploration de la fonction thyroïdienne.

L’iodure de potassium lui-même est utilisé en cas de menace de contamination par l’iode radioactif car il empêche ce dernier de s’accumuler dans la thyroïde.

Antithyroïdiens de synthèse

Les antithyroïdiens de synthèse utilisés en thérapeutique sont d’une part le benzylthiouracile et le propylthiouracile et d’autre part le carbimazole et le méthimazole appelé aussi thiamazole qui est la molécule active. Le carbimazole est transformé dans l’organisme en méthimazole. Voir le RCP du Thyrozol*.

Effets

Ces substances diminuent la synthèse des hormones thyroïdiennes, mais l’effet clinique n’apparaît qu’après déplétion en thyroglobuline iodée de la colloïde. Le mécanisme d’action des antithyroïdiens de synthèse n’est pas totalement élucidé : en inhibant la thyroperoxydase, ils s’opposeraient à l’oxydation de l’iodure et aux réactions de couplage MIT/DIT pour donner T3 et T4.

Les antithyroïdiens de synthèse auraient également un effet de type immunosuppresseur et diminueraient la production des immunoglobulines responsables de l’activation des récepteurs thyroïdiens.

Le benzylthiouracile inhibe, de plus, la transformation de T4 en T3 par les tissus périphériques.

Indications

Les antithyroïdiens de synthèse sont utilisés pour traiter les hyperthyroïdies, c’est-à-dire les états d’hyperfonctionnement de la glande thyroïde conduisant à une production excessive de T4 et T3. Cet état s’observe dans la maladie de Basedow et lorsqu’il existe un ou plusieurs nodules thyroïdiens hyperfonctionnels.

La maladie de Basedow, appelée aussi  maladie de Graves, ne résulte pas, dans la quasi-totalité des cas, d’une hyperstimulation de la thyroïde par la TSH, mais de sa stimulation par des auto-anticorps de type IgG. Ces immunoglobulines se fixent sur les récepteurs de la TSH et, en les activant, augmentent la synthèse de T3 et de T4. Ils favorisent également la croissance thyroïdienne, d’où l’existence d’un goître. L’augmentation de la production de T3 et de T4 freine le complexe hypothalamo-hypophysaire et entraîne une chute importante de la sécrétion de TSH. La diminution de la concentration plasmatique de TSH est un bon marqueur de l’hyperthyroïdie.

Dans le traitement de l’hyperthyroïdie, les antithyroïdiens sont administrés durant la phase initiale à une posologie élevée, dite d’attaque. L’effet bénéfique apparaît alors en quelques jours ou en deux à trois semaines. Ensuite, durant la phase d’entretien et la phase de consolidation, la posologie est abaissée en fonction de l’amélioration de l’état du malade. La durée totale du traitement est de un à deux ans.

Le contrôle de l’efficacité du traitement se fait sur l’évolution des signes cliniques, en particulier le pouls et le poids, et des dosages hormonaux. Une surveillance de la numération sanguine est indispensable en raison des risques d’agranulocytose.

A côté du traitement de l’hyperthyroïdie les antithyroïdiens ont quelques indications particulières, par exemple, le propylthiouracide pourrait réduire, par des mécanismes mal connus, la mortalité dans les cirrhoses d’origine alcoolique.

Propylthiouracile PRORACYL* 50 mg, Comprimés
 

Benzylthiouracile

BASDÈNE*, Comprimés à 25 mg

Carbimazole

NÉO-MERCAZOLE, Comprimés à 5 mg et à 20 mg 

Méthimazole ou thiamazole THYROZOL*, Comprimés à 5, 10 et 20 mg

Effets indésirables

Le principal effet indésirable des antithyroïdiens de synthèse est, en fait, la rechute de l’hyperthyroïdie, car, dans le tiers des cas, une reprise de la maladie est observée pendant ou après leur administration. On pensait que la fréquence des rechutes était diminuée par l’utilisation de doses plus élevées d’antithyroïdiens de synthèse, notamment de carbimazole, éventuellement associées à un traitement substitutif par les hormones thyroïdiennes, mais ceci ne semble pas se confirmer.

L’effet indésirable le plus grave est l’agranulocytose qui se traduit en général par une fièvre et une angine. Il faut donc contrôler la formule numération sanguine et arrêter le traitement s’il y a des troubles hématologiques.

Les autres effets indésirables, les éruptions, les arthralgies, sont des manifestations de type allergique.

Le carbimazole peut être administré à la femme enceinte. En effet, la thyroïde foetale ne se développe qu’à partir des dixième et onzième semaines, un traitement peut donc être poursuivi jusqu’au troisième mois. Ensuite, il faut réduire les doses ou arrêter le traitement en raison de la possibilité d’hypothyroïdie néonatale. Mais le traitement de la femme enceinte par les antithyroïdiens de synthèse n’est pas toujours nécessaire car les manifestations d’hyperthyroïdie s’atténuent pendant la grossesse. Par contre, il ne faut pas administrer des antithyroïdiens de synthèse à la femme qui allaite, car ils passent dans le lait.

Remarque

Le lithium utilisé dans le traitement de la psychose maniaco-dépressive a pu entraîner des hypothyroïdies par des mécanismes encore mal élucidés. Cet effet indésirable a conduit à le proposer dans le traitement de certaines hyperthyroïdies.

Utilisation de l’iode : conséquences thyroïdiennes

Solution de Lugol

L’iode est sans doute le plus vieux remède utilisé dans les affections thyroïdiennes. Il est généralement utilisé sous la forme de la solution de Lugol contenant environ 15 g d’iode sous forme d’iode I2 et IK (iodure de potassium) pour 100 g de solution. Cette préparation apporte une quantité d’iode sans commune mesure avec les apports normaux qui sont de l’ordre de 100 à 200 microgrammes par jour. 

Le mécanisme d’action de l’iode à dose extraphysiologique est complexe. Son effet principal est d’inhiber les enzymes protéolytiques (catheptase) qui libèrent les hormones thyroïdiennes de la thyroglobuline. Cette inhibition est habituellement transitoire. La solution de Lugol utilisée dans le traitement de l’hyperthyroïdie apporte dans un premier temps, pendant environ une quinzaine de jours, une amélioration nette des symptômes, mais, par la suite, son effet bénéfique s’atténue et la maladie reprend son cours, parfois avec une intensité supérieure.

En pratique, la solution de Lugol n’est pas utilisée pour traiter l’hyperthyroïdie, mais dans des indications tout à fait particulières :

  • traitement pré-opératoire pour une thyroïdectomie : l’administration d’une solution de Lugol réduit la vascularisation de la glande qui devient plus ferme, facilitant le travail du chirurgien.
  • traitement d’urgence des crises aiguës thyrotoxiques où l’iode peut être administré par voie intraveineuse.
  • traitement de la maladie de Basedow avec exophtalmie démateuse sévère.

Il faut remarquer qu’un traitement préalable par l’iode pourrait retarder l’action des antithyroïdiens de synthèse donnés ultérieurement.

La prise d’une quantité excessive d’iode peut entraîner chez le sujet ne présentant pas de trouble thyroïdien soit une hypothyroïdie, soit une hyperthyroïdie. Il existe par ailleurs des manifestations d’iodisme telles que l’hypersalivation avec goût métallique dans la bouche, rhinite, larmoiement, oedème conjonctival. Des accidents allergiques, prurit, urticaire, ont été observés, surtout avec des préparations iodées destinées à l’exploration radiologique.

Les contre-indications du Lugol sont la grossesse et l’allergie à l’iode.

Iode radioactif

L’isotope stable de l’iode a la masse 127 et il existe plusieurs isotopes radioactifs parmi lesquels l’iode 123 dont la demi-vie (radioactive et non pharmacocinétique) est de 12 heures ainsi que l’iode 131 dont la demi-vie est de 8 jours.

L’iode radioactif comme l’iode stable a une très grande affinité pour la thyroïde dans laquelle il s’accumule.

Ses indications sont soit diagnostiques exploration de la fixation d’iode par la thyroïde soit thérapeutiques traitement de certaines hyperthyroïdies et traitement post-opératoire du cancer thyroïdien.

La radioactivité émise par l’iode radioactif utilisé à dose thérapeutique détruit partiellement la glande en cas d’hyperthyroïdie. Cet effet n’apparaît cependant qu’avec un temps de latence et peut être suivi ultérieurement d’une hypothyroïdie d’apparition tardive, comme s’il existait un processus lent d’autodestruction de la glande. L’intérêt principal de l’iode radioactif réside dans la simplicité de son administration, évitant, notamment chez un sujet âgé, la prescription d’un antihyroïdien de synthèse ou la thyroïdectomie. Son utilisation thérapeutique pourrait augmenter le risque d’ophtalmopathie.

Utilisé en traitement post-opératoire du cancer thyroïdien, l’iode radioactif détruit le reliquat éventuel de cellules tumorales.

Médicaments iodés

Il existe, à côté de la solution de Lugol, divers médicaments contenant un ou plusieurs atomes d’iode inclus dans une molécule organique. C’est le cas de l’amiodarone qui, en traitement prolongé, apporte une grande quantité d’iode et est souvent à l’origine de troubles thyroïdiens, en général des hyperthyroïdies, parfois des hypothyroïdies.

Par ailleurs, il faut être extrêmement attentif à ne pas provoquer d’intoxication iodée, chez le nouveau-né en particulier, en utilisant des antiseptiques iodés qui sont absorbés par la peau ou les muqueuses.

La pharmacologie des produits iodés, en dehors de leur interaction avec la thyroïde, est étudiée à part (Voir « Molécules iodées ».).

Remarques

  • ß-bloqueurs
    Les ß-bloqueurs, en particulier le propranolol, sont couramment utilisés dans le traitement de l’hyperthyroïdie, surtout en début de traitement. Le propranolol diminue très rapidement les palpitations, la tachycardie, la nervosité, les sueurs, le tremblement, mais n’agit pas sur la fatigue et l’amaigrissement de l’hyperthyroïdie.
  • Corticoïdes
    Les doses élevées de corticoïdes, par exemple 40 mg de prednisone par jour, freinent la thyroïde rapidement et sont utilisées avant les interventions chirurgicales sur les hyperthyroïdies très graves.
  • Chirurgie
    La thyroïdectomie subtotale, qui enlève environ 9/10e de la glande, obtient d’excellents résultats dans le traitement de l’hyperthyroïdie, avec des rechutes beaucoup moins nombreuses qu’avec le traitement par antithyroïdiens de synthèse.