Auteur : Pierre Allain

Biotransformations

Le terme biotransformations désigne les diverses modifications chimiques que subissent les médicaments dans l’organisme pour donner naissance à des métabolites. Les biotransformations des médicaments sont essentiellement effectuées grâce aux enzymes, mais certaines d’entre elles se font sans intervention d’enzymes, par exemple une hydrolyse en milieu acide ou alcalin.

Certains médicaments ne subissent pas de biotransformation dans l’organisme et sont éliminés tels quels, mais la plupart en subissent et ont un ou plusieurs métabolites, parfois plus de dix.

Chaque métabolite M1, M2, M3, formé à partir du médicament M peut être plus ou moins actif, plus ou moins toxique que le médicament M, il peut même avoir des propriétés différentes, voire antagonistes de celles du médicament M. Cependant, d’une manière générale, les biotransformations sont des réactions de défense de l’organisme qui conduisent à des molécules moins toxiques et moins actives que la molécule initiale, mais il existe plusieurs exceptions à cette règle.

Lorsque le médicament administré est inactif et que son métabolite est actif, il est considéré comme une «prodrogue».

La thérapie génique peut s’apparenter à l’administration d’une prodrogue : en effet, le DNA administré utilise la machinerie métabolique de l’organisme pour synthétiser les protéines souhaitées, soit endogènes (manquantes ou défectueuses), soit exogènes (par exemple des vaccins).

Chaque métabolite d’un médicament M doit être considéré comme une nouvelle molécule qui a ses propres caractéristiques pharmacocinétiques (demi-vie, volume de distribution, élimination etc.) généralement indépendantes de celles de M mais susceptibles de les modifier.

D’une manière schématique, on distingue deux types de biotransformations classés en phase I et phase II.

Phase I, oxydations

La phase I comporte les biotransformations dont le mécanisme réactionnel implique une oxydation sans que celle-ci soit toujours apparente dans le produit final obtenu.

Elle comporte des réactions d’hydroxylation (RCH ® RCOH, R pouvant être aliphatique ou aromatique et C un carbone), de N-oxydation (R1-NH-R2 ® R1-NOH-R2), de S-oxydation (R1-S-R2 ® R1-SO-R2) où l’oxydation est évidente car il y a eu addition d’un atome d’oxygène, et des réactions de N- et O-déalkylation, où la fixation d’un atome d’oxygène n’a été qu’une étape intermédiaire et n’apparaît pas dans le produit final.

Un très grand nombre de réactions d’oxydation sont catalysées par le cytochrome P-450

Le cytochrome P-450 constitue, en fait, non pas une enzyme unique mais une famille d’iso-enzymes à fer, métabolisant préférentiellement tel ou tel type de médicaments. Les changements du degré d’oxydoréduction du fer sont à l’origine des biotransformations catalysées par l’enzyme.

Le fonctionnement du cytochrome P-450 nécessite la présence d’une enzyme associée, appelée cytochrome P-450 réductase, qui prélève deux électrons à une flavoprotéine réduite pour les transférer au substrat qui sera oxydé. La flavoprotéine elle-même reçoit ses électrons du NADPH + H+.

Il existe un grand nombre d’iso-enzymes du cytochrome P450 ou CYP, classées en familles désignées par les chiffres 1, 2, 3, chaque famille pouvant se subdiviser en sous-groupes désignés par les lettres A, B etc. Chaque famille métabolise préférentiellement des substrats déterminés, certains d’entre eux étant inducteurs de l’iso-enzyme correspondante. Certaines substances sont des inhibiteurs.

  • CYP 1A2 qui métabolise, par exemple, la caféine, la théophylline, la clozapine, l’imipramine, la tacrine. Il est induit par le tabac.
  • CYP 2C9 qui métabolise la phénytoïne, le tolbutamide, l’ibuprofène, la warfarine.
  • CYP 2I9 qui métabolise, l’oméprazole, le moclobémide, le diazépam, l’imipramine.
  • CYP 2D6 qui métabolise divers antidépresseurs, divers neuroleptiques, divers b-bloquants.
  • CYP 3A, notamment le 3A4 qui métabolise la clozapine, la terfénadine, le cisapride, l’érythromycine, la ciclosporine, la nifédipine. ainsi que le cortisol, la progestérone, la testostérone. Le kétoconazole, l’érythromycine sont des inhibiteurs des CYP 3A.
  • CYP 2E1 qui métabolise les petites molécules dont les anesthésiques volatils.

On constate que le même médicament peut être métabolisé par deux ou plusieurs iso-enzymes différentes.

On trouve dans la littérature des tableaux indiquant la liste de médicaments préférentiellement métabolisés par les divers iso-enzymes de cytochromes P-450. Par ailleurs les monographies Résumé des Caractéristiques du Produit) doivent indiquer pour chaque nouveau médicament son type de métabolisme.

Les cytochromes P-450 sont également responsables de la transformation de certains procarcinogènes en carcinogènes, en particulier par formation d’époxydes.

Il peut exister de grandes différences d’activité entre les divers types de cytochromes, différences d’origine génétique ou acquises par induction ou inhibition.

Schéma simplifié de l’oxydation d’un médicament par le cytochrome P-450

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Phase II, conjugaisons

La phase II comporte les réactions de conjugaison, soit par l’acide glucuronique (glucuronoconjugaison), la glycine (glycoconjugaison), soit par le sulfate (sulfoconjugaison catalysée par des sulfotransférases) ou encore l’acétate (acétylation catalysée par des N-acétyl transférases) et le glutathion.

La glucuronoconjugaison constitue le mécanisme principal. Elle est catalysée par des UDP-glucuronyl-transférases qui favorisent la fixation de l’acide glucuronique sur un atome d’oxygène, d’azote ou de soufre d’une molécule. La morphine et le paracétamol sont deux exemples de médicaments glucuronoconjugués

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Glucuronoconjugaison d’un substrat

Les glutathion transférases sont les enzymes qui favorisent la fixation de la molécule de glutathion qui est un tripeptide sur un atome électrophile d’une autre molécule.

L’acétylation, sous l’influence de la N-acétyl transférase, concerne un certain nombre de médicaments tels que l’isoniazide qui est ainsi inactivé et d’autres comme l’hydralazine, la sulfapyridine, le sulfaméthoxazole, la dapsone, un métabolite aminé du nitrazépam, la procaïnamide et un métabolite de la caféine.

D’une manière générale, la conjugaison conduit à des produits moins actifs que le médicament initial, mais il existe des exceptions illustrées par l’exemple de la morphine. La morphine comporte deux groupes OH. Le métabolite obtenu par glycuronoconjugaison du groupe OH en position 6 est un agoniste actif, alors que le métabolite résultant de la conjugaison du groupe OH en 3 est un antagoniste.

Différences d’activités enzymatiques

L’activité de certaines enzymes impliquées dans les biotransformations peut être différente selon les individus, et chez les mêmes individus selon qu’ils prennent ou non certains médicaments.

Différences liées au malade

  • D’origine génétique : tous les individus n’ont pas le même équipement enzymatique et la vitesse de métabolisation des médicaments peut s’en ressentir. L’exemple le plus cité est celui de l’acétylation de l’isoniazide : chez les acétyleurs rapides sa demi-vie est d’une heure et chez les acétyleurs lents de trois heures. Un certain nombre de tests comportant en général l’administration d’un médicament comme la débrisoquine, la caféine ou l’isoniazide et le suivi de leur métabolisme permettent d’apprécier les particularités métaboliques des malades. Cependant, désormais, à ces méthodes fondées sur la mesure de la concentration du médicament et de ses métabolites, vont venir s’ajouter des techniques de détermination directe du génotype.
  • D’origine physiologique : l’activité des enzymes peut varier au cours du développement. Chez le nouveau-né et plus encore le prématuré, la métabolisation des médicaments peut être plus lente que chez l’adulte.
  • D’origine pathologique : une atteinte hépatique sévère peut ralentir l’élimination de certains médicaments en raison d’une diminution de l’activité de certains enzymes qui les métabolisent. Par ailleurs, des troubles de la circulation hépatique ainsi qu’une diminution de la synthèse hépatique des protéines plasmatiques de transport s’ajoutent à la réduction de l’activité enzymatique pour ralentir l’élimination.

Différences liées à la prise de médicaments

L’activité des enzymes peut être modifiée par la prise de certains médicaments. On observe soit une inhibition soit une induction.

Inhibition enzymatique

L’inhibition peut être recherchée ou fortuite et, dans ce cas, elle est souvent indésirable.

Lorsqu’elle est recherchée, on l’obtient par la prise d’un inhibiteur enzymatique : par exemple un inhibiteur de la mono-amine-oxydase ou des inhibiteurs des cholinestérases.

Lorsqu’elle est fortuite, elle survient lors de la prise de médicaments non utilisés comme inhibiteurs enzymatiques mais qui peuvent cependant avoir une action inhibitrice, notamment de cytochromes P450 conduisant à un ralentissement des biotransformations de certains médicaments pris par le malade. Il en existe de nombreux exemples :

  • le valproate de sodium inhibe l’hydroxylation du phénobarbital.
  • la cimétidine inhibe l’hydroxylation de plusieurs autres médicaments tels que la warfarine.
  • les macrolides, comme l’érythromycine et la troléandomycine qui n’est plus commercialisée, inhibent le catabolisme d’autres médicaments comme la théophylline, la carbamazépine et les dérivés de l’ergot de seigle. La prescription simultanée de troléandomycine et d’ergotamine qui est un puissant vasoconstricteur a entraîné des accidents très graves d’ischémies, consécutifs à l’accumulation d’ergotamine.
  • les antiprotéases, en particulier le ritonavir, inhibent les cytochromes P450 et ralentissent les biotransformations de divers médicaments qui s’accumulent dans l’organisme. Ces interactions médicamenteuses sont trop nombreuses pour être décrites ici et il faut consulter le «Résumé des Caractéristiques du Produit» avant toute prescription.
  • une substance présente dans le jus de pamplemousse, la naringénine et peut-être une autre substance, inhibent le cytochrome P-450 de type 3A4, ce qui ralentit le catabolisme de certains médicaments comme la ciclosporine, la terfénadine qui a été retirée du commerce, certains antagonistes du calcium, de sorte que leur concentration plasmatique s’élève d’une façon parfois excessive. Une inhibition de la P-glycoprotéine intestinale participerait à l’effet de la naringénine. Ceci constitue un exemple de modification du métabolisme d’un médicament par un aliment.

L’inhibition du catabolisme d’un médicament par un autre peut, dans des conditions particulières, être utilisée en thérapeutique, par exemple pour réduire la posologie d’un médicament coûteux.

Induction enzymatique

L’induction enzymatique a été mise en évidence initialement chez l’animal. On a constaté que des souris ou des rats qui avaient reçu quelques jours auparavant du phénobarbital devenaient insensibles à son effet hypnotique lors d’une administration ultérieure. On a montré que cette perte d’activité provenait essentiellement d’une métabolisation plus rapide du phénobarbital.

La première administration avait déclenché une synthèse accrue des enzymes d’oxydation, cytochromes P-450, responsables de l’hydroxylation accélérée du phénobarbital lors d’une administration ultérieure.

Il s’agit d’un phénomène non immédiat, qui de plus est réversible, c’est-à-dire s’atténue et disparaît avec le temps en l’absence de prise du médicament inducteur.

L’induction est généralement assez spécifique, mais ses conséquences peuvent concerner plusieurs molécules, c’est-à-dire que les enzymes dont la synthèse est accrue peuvent métaboliser d’autres molécules que l’inducteur lui-même. L’inducteur peut ainsi être à l’origine d’interactions médicamenteuses de type pharmacocinétique.

Les principaux médicaments inducteurs sont les barbituriques (phénobarbital), l’équanil ou procalmadiol, la carbamazépine, la rifampicine. Un médicament d’origine végétale, le millepertuis ou Hypericum perforatum possédant une activité antidépressive, est aussi un inducteur enzymatique susceptible d’abaisser la concentration plasmatique de médicaments comme la ciclosporine.

L’induction enzymatique peut avoir deux sortes de conséquences :

  1. En pharmacologie : la perte ou la diminution d’efficacité du médicament inducteur lui-même et des autres médicaments qui sont inactivés par les mêmes réactions enzymatiques. Ainsi la prise d’un médicament inducteur enzymatique comme la rifampicine peut rendre inefficace le cortisol, par exemple, et entraîner la réapparition des crises chez un asthmatique, ou rendre inefficace un contraceptif oral et entraîner une grossesse non souhaitée.
    Le tabac modifie aussi le métabolisme de nombreux médicaments; il accélère l’inactivation de la théophylline, du propanolol.
  2. En pathologie : chez certains malades présentant des déficiences latentes ou connues de certaines étapes de la synthèse de l’hème, l’augmentation de l’activité de l’acide amino-lévulinique synthétase (enzyme qui catalyse une étape initiale de la synthèse de l’hème), consécutive à la prise d’un médicament inducteur enzymatique, entraîne une accumulation de porphyrines et le déclenchement de crises de porphyries.

L’induction de cytochromes P-450 impliqués dans les biotransformations de certains médicaments met en jeu une augmentation de la transcription d’un gène (DNA) en mRNA codant la synthèse de ces cytochromes. Une stabilisation du mRNA peut également y participer. Le médicament ou le xénobiotique qui augmente la transcription agit à la manière des hormones à effet nucléaire (voir transduction) en faisant intervenir des facteurs transcriptionnels qui interagissent avec le DNA. Un de ces facteurs est le PPAR (peroxisome proliferator-activated receptor).